AUGIER (Guillaume-Victor-Emile)



AUGIER (Guillaume-Victor-Emile)), écrivain célèbre, né à Valence, le 18 septembre 1820, appartenait à une famille d'Orange, ville où Charles-Joseph Augier, son aïeul, qui fit partie du Conseil des Cinq-Cents, était médecin, et où Joseph-Victor Augier, son père, avocat de talent et écrivain quelque peu poète, naquit le 26 juillet 1792. Seulement, comme il était un ardent libéral, collaborateur du Patriote de 89 pendant les Cent-Jours, ce dernier dut quitter son département, à la seconde Restauration, et c'est alors qu'il vint habiter le nôtre, dont le peuple sage et généreux n'a jamais, disaitil, " souillé la liberté ni courbé le front sous aucune tyrannie. " Etabli d'abord à Loriol, puis à Crest, il se fixa enfin à Valence comme avocat, et s'y fit aussitôt remarquer par la vivacité de son esprit et l'indépendance de son caractère, en publiant une protestation indignée contre les Crimes d'Avignon depuis les Cent-Jours, et s'en prenant directement ensuite, dans un procès, au procureur du roi et au juge d'instruction ; ce qui lui valut d'être suspendu pendant trois mois, en 1817.
Indépendamment de cela, Victor Augier, qui était déjà l'auteur d'un volume de Poésies fugitives, imprimé à Orange en 1811, et d'un roman dont le titre : Fingal et Inisthère indique la date, collabora aux Tablettes de la Drôme, petite revue à laquelle il prêta, en outre, l'appui de sa parole et qui n'en fut pas moins bientôt supprimée pour infraction à la loi du 17 mars 1822. Puis, il écrivit 70 notices pour une Biographie dauphinoise qu'il se proposait de publier avec le concours de quelques écrivains drômois, parmi lesquels était J.-B. Dochier, et dont il n'a paru que le prospectus, bien qu'une partie de cet ouvrage, fort superficiel du reste, se trouve en manuscrit et même en épreuves aux archives départementales de la Drôme. Mais ce sont encore, selon nous, ses mémoires ou factums de procès qui méritent le plus de fixer l'attention ; et le plus remarquable de ces mémoires est, sans contredit, celui qu'il rédigea dans l'intérêt de Pigault-Lebrun, et dans lequel il défend le principe de la propriété littéraire contre l'imprimeur Guichard, d'Avignon.
Ace moment-là, Victor Augier étaitil le gendre du licencieux romancier, précurseur de Paul de Kock ? Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il épousa, en 1819, sa fille, Anna-Honorine Pigault-Lebrun, qui le rendit père de l'illustre écrivain à qui cette notice est consacrée, et que, huit ans après, il fit avec son beau-père un Voyage dans le Midi de la France, dont le récit, édité par Barba, a quelque chose de celui de Chapelle et Bachaumont, à cause des vers qu'y a fait entrer notre avocatpoète. Ajoutons que " le petit Emile " fut de ce voyage, qu'il égaya d'autant plus les voyageurs que l'auteur de L'Enfant du Carnaval, " papa Pigault ", comme on l'appelait en famille, était, à ce qu'il paraît, deux fois grand-père pour aimer son petit-fils, et que celui-ci, qui tenait évidemment de {43}son aïeul sa belle humeur batailleuse et son esprit gaulois, avait alors déjà pour lui une affection des plus vives, qui se transforma, dans la suite, en une sorte de culte, ainsi que l'on peut s'en convaincre en le voyant dédier, vingt-huit ans plus tard, le premier recueil de ses œuvres à la mémoire vénérée de son grand-père Pigault-Lebrun. Enfin, disons que c'est au retour de ce voyage dans le Midi que les Augier abandonnèrent Valence pour Paris, où le père de l'auteur du Gendre de M. Poirier tint un cabinet littéraire au Palais-Royal, suivant Claretie, tandis qu'un de ses plus proches parents affirme qu'il y acheta une charge d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, et où, dans tous les cas, Emile Augier termina au lycée Henri IV des études commencées à Valence chez un maître de pension.
Sa famille le destinant au barreau, il fit ensuite son droit et travailla pendant quelque temps chez un avoué ; mais la passion des lettres l'emportant, il négligea le Code pour écrire, en collaboration avec un jeune avocat d'Orange, son ami, un drame Moyenâge intitulé : Charles VIII à Naples. Seulement, ce drame ayant été présenté au directeur de l'Ambigu-Comique fut refusé et, voyant cela, le jeune avocat renonça au théâtre pour devenir Me Nogent-Saint-Laurent, tandis qu'Emile Augier, qui avait foi dans son étoile, se remettant à l'œuvre, écrivit alors La Ciguë, pièce en vers que le Théâtre-Français refusa, mais qui, jouée pour la première fois à l'Odéon, le 13 mars 1844, tint pendant trois mois l'affiche de ce théâtre, dont elle fit la fortune.
Arrivé ainsi d'un bond à la célébrité, Emile Augier vit dès lors sa réputation grandir à chaque nouvelle pièce de lui ; car, si toutes n'eurent pas un succès aussi éclatant que La Ciguë, toutes sont d'un maître du théâtre, en même temps que d'un maître dans l'art d'écrire ; et même, dans celles qui donnèrent lieu, tout d'abord, à de vives critiques, par exemple dans Le Fils de Giboyer, dont l'apparition sur la scène souleva de véritables tempêtes, parce qu'on y voyait une satire des anciens partis, nul ne conteste qu'il y ait des beautés de premier ordre. Aussi, l'Académie française, qui décerna, en 1845, la moitié d'un prix Monthyon à l'auteur de Gabrielle, appela-t-elle, neuf ans après, Emile Augier à prendre place dans son sein, comme successeur de Salvandy. C'est le 28 mai 1858 qu'il fut reçu dans cette illustre compagnie et il en profita pour flétrir l'attentat d'Orsini, qui venait d'avoir lieu. Mais, ce n'est pas une raison pour voir un homme politique dans ce grand écrivain ; car, il suffit de lire certains passages de la réponse qu'il devait faire à Emile Ollivier, dont la réception n'eut pas lieu, et qu'il publia dans un journal, au mois de mars 1874, pour se convaincre du contraire. " Plus j'avance en âge, y dit-il, plus je suis tenté de mettre la politique au nombre des sciences inexactes, entre l'alchimie et l'astrologie judiciaire ; les événements ont tant de fois déjoué les calculs les plus opposés qu'on n'en est plus à se demander où est la vérité, mais s'il y a une vérité. " Ensuite de quoi il ajoute : " Chaque parti possède un morceau de la vérité, autour duquel il a modelé tout un système, chaque parti adore son œuvre et déteste celle de son voisin ; on se hait, on se méprise, on se bat, pour ou contre un fragment de vérité, quand il serait si simple de rassembler les membres épars de la déesse et de la reconstituer sur son piédestal. "
Emile Augier essaya cependant un peu de la politique et, qui plus est, c'est dans notre département qu'il fit cet essai. Le 2 août 1852, il y fut élu membre du Conseil général pour le canton de Bourdeaux, canton auquel il tenait par ses liens d'amitié et de parenté avec la famille Vernet, et c'est sur son rapport que cette assemblée vota, quelques jours après (17 août 1852), l'acquisition d'immeubles destinés à recevoir les archives départe{44}mentales. Mais là se borna, croyonsnous, son intervention dans les affaires publiques ; car il donna sa démission au mois de mai 1855, et l'on peut se faire une idée exacte de l'impression que laissa chez lui cette courte, mais inoffensive incursion, dans un domaine qui n'était pas le sien, par le fait suivant : Un jour qu'on le prévenait des mauvais vouloirs de certain habitant du canton de Bourdeaux à son endroit : " Comment en serait-il autrement ? répondit-il, c'est grâce à moi que le père de cet homme- là est sorti de prison et je lui ai rendu beaucoup d'autres services ! "
En un mot, Emile Augier fut simplement un écrivain ; mais un écrivain de large envergure, dont les œuvres n'ont pas grand'chose à craindre du temps, ce grand démolisseur, parce qu'elles sont écrites dans un langage clair et châtié, et puis qu'il y a jeté à pleines mains du vieil esprit français. Avec cela, celles de ses pièces dans lesquelles il s'est attaché à peindre ses contemporains sont d'un observateur sagace et, s'il est impossible de ne pas voir en lui un sceptique, il faut reconnaître que son septicisme, qui est plutôt un raffinement d'esprit, n'exclut jamais la note tendre, et que, tout en étant volontiers gaulois et petit-fils de Pigault-Lebrun, il prend toujours parti pour la vertu contre le vice. Car, il ne faut pas oublier que Le Mariage d'Olympe, par exemple, est une protestation contre la réhabilitation de la courtisane. Et c'est pour cela que, lorsqu'il est mort, le 18 octobre 1889, tous les habitants de sa ville natale ont applaudi à l'idée de lui rendre un suprême hommage, en lui élevant, par souscription publique, un fort beau monument, œuvre de Mme la duchesse d'Uzès, et qu'il a son buste à Paris, sur la place de l'Odéon.
Bien que cela ne doive rien ajouter à sa gloire, disons encore qu'il était grand officier de la Légion d'honneur et commandeur de Saint-Stanislas de Russie.
Par suite d'une délibération du conseil municipal de Valence, en date du 14 janvier 1890, approuvée par décret du 15 mars suivant, le nom d'Emile Augier a été donné à l'ancienne rue Neuve.
ICONOGRAPHIE. - I. Portrait in-4º, micorps de 3/4 à D., dans un méd. ovale. Ernest Guillon del. Ed. Blot, impr. - II. Eau-forte, in-folio, mi-corps, de 3/4 à G. Masson del. et sculp. Drouart, impr. - III. In-4º, mi-corps, de 3/4 à G. Masson del. et sculp. Imp. Delâtre. Marchand, édit. - IV. Grav. sur bois, signée Decaux. - V. Grav. sur bois, genre eau-forte, d'après Guillaumet. - VI. Eau-forte de Le Nain. Paris, impr. Quantin. - VII. Dessin de Rouyat, d'après une phot. de Nadar. - VIII. Grav. sur bois, d'après une phot. de Trumelet. - IX. Enfin, dans presque tous les journaux illustrés, et nous devons ajouter qu'il y encore d'Emile Augier, un beau médaillon en bronze par Ringel d'Illzac (1884), faisant partie des collections de M. V. Colomb.
BIO-BIBLIOGRAPHIE. - I. Galerie historique et critique du dix-neuvième siècle. Emile Augier. Paris, 1862, signé Henry La Lauze. - II. Célébrités contemporaines. Emile Augier par Jules Claretie. Paris, Quantin. 1882, petit in-8º. - III. Le petit-fils de Pigault-Lebrun, pp. 246-58 des Pet. mém. littér. par Ch. Monselet. Paris, 1885, grand in-18. - IV. Emile Augier, par Edouard Pailleron. Paris, 1889, in-8º. - V. Le Théâtre contemporain. Emile Augier, Alexandre Dumas fils. Paris, Calmann-Lévy, 1889, in-12. - VI. Les Dauphinois à l'Académie française. M. Emile Augier, par Zénon Fière, dans la Rev. du Dauph. et du Vivar. IV, 361. - VII. Notice sur Emile Augier, par Léon Emblard. Valence, 1890, in-8º. - VIII. Emile Augier, par Emile Parigot. Paris, Lecène, Oudin et Cie, 1890, in-8º, avec portr. - IX. L'Homme dans Emile Augier, par Edouard Cottinet. S.l.n.d., in-8º. - X. Emile Augier, né à Valence, notice signée S***, autogr. et portr. dans la Galerie contemporaine, par Baschet, S.l.n.d. in-8º de 4 pp. - XI. Emile Augier, sa famille, son temps et ses œuvres, par un Valentinois, avec une bibliographie par J. C. Ouvrage orné d'un portrait et de 2 similigravures hors texte. Valence, Villard et Brise, in-16 de 455 + 142 pp. - XII. Emile Augier entrevu dans la charge et la caricature, par Paul Guillemin. Grenoble, Baratier, 1897, in-fº de 36 pp.
BIBLIOGRAPHIE. - I. La Ciguë, comédie en 2 actes et en vers. Furne, 1844, in-12.
II. Un Homme de bien, comédie en 3 actes et en vers. Paris, Furne, 1845, in-12.
III. L'Aventurière, comédie en 5 actes et en vers. Hetzel, 1848, in-8º.
IV. Gabrielle, comédie en 5 actes et en vers. Lévy, 1850, in-12.
V. L'Habit vert, prov. en 1 acte, prose, en collaboration avec Alfred de Musset. Lévy, 1851, in-12.
VI. Le Joueur de flûte, comédie en 1 acte et en vers. Blanchard, 1851, in-12.
VII. La Chasse au roman, comédie-vaudeville en 3 actes. Lévy, 1851, in-12. Cette {45}pièce trouvée probablement insuffisante par E. Augier, ne figure pas dans son Théâtre complet.
VIII. Sapho, opéra, en 4 actes, musique de Gounod. Lévy, 1851, in-18.
IX. Les Méprises de l'Amour, comédie en 5 actes et en vers (qui n'a pas été jouée). Lévy, 1852, in-12.
X. Diane, drame en 5 actes et en vers. Lévy, 1852, in-12.
XI. Poésies complètes. Lévy, 1852, in-12. Réimprimé sous le titre de Les Pariétaires. Lévy, 1855, in-16.
XII. Philiberte, comédie en 3 actes et en vers. Lévy, 1853, in-12.
XIII. La Pierre de touche, comédie en 5 actes et en vers, en collaboration avec J. Sandeau. Lévy, 1854, in-12.
XIV. Le Mariage d'Olympe, comédie en 3 actes, prose. Lévy, 1855, in-8º.
XV. Le Gendre de M. Poirier, comédie en 4 actes, prose, en collaboration avec M.J. Sandeau. Lévy, 1854, in-12. Pièce qui donna lieu à une parodie burlesque : Le Gendre de M. Pommier, par Siraudin, Delacour et Morand. Paris, 1855.
XVI. Ceinture dorée, comédie en 3 actes, prose. Paris, 1855, in-12.
XVII. Discours de réception à l'Académie française. Paris, Didot, 1858, in-4º.
XVIII. La Jeunesse, comédie en 5 actes et en vers. Lévy, 1858, in-12. Cette pièce a donné lieu à une Lettre à M. Emile Augier, par F.-L. Berthé (Paris, Dupont, 1861, in-8º de 28 pages), dans laquelle ce dernier, qui venait de publier une comédie intitulée Alfred ou Cinq ans perdus, dont le sujet et le dénouement sont ceux de La Jeunesse, prétend qu'il y a eu plagiat de la part d'E. Augier, sa pièce à lui Berthé ayant traîné 12 ou 15 ans dans les cartons de l'Odéon ou du Théâtre Français.
XIX. Les Lionnes pauvres, comédie en 5 actes, prose, avec la collaboration d'Ed. Foussier. Lévy, 1858, in-12.
XX. Un Beau Mariage, comédie en 5 actes, prose, avec la collaboration d'Ed. Foussier. Lévy, 1859, in-12.
XXI. Les Effrontés, comédie en 5 actes, prose. Lévy, 1861, in-8º.
XXII. Le Fils de Giboyer, comédie en 5 actes, prose. Lévy, 1863, in-8º. Pièce qui donna lieu aux écrits suivants : Lettre d'un gentilhomme à M.E. Augier, auteur du Fils de Giboyer, par J. de Rainneville. Paris, 1862, in-8º. - Clergé, noblesse et tiers-état. Quelques mots à M. Emile Augier, auteur du fils de Giboyer, par L. Schwaer. Paris, Ledoyen, 1862, in-8º. - Les Muses d'Etat, satire par V. de Laprade, publiée dans le Correspondant. - Le Petit-Fils de Pigault-Lebrun, reponse au Fils de Giboyer, par Eugène de Mirecourt, 1863, in-12. - Le Fond de Giboyer, dialogue avec prologue et pièces justificatives, par Louis Veuillot, 1863, in-12. - Le Fils de Giboyer et l'Académie française, par H. de Vanssay. Paris, 1863, in-8º. - Défense du Fils de Giboyer, par Ferrière, 1863, in-8º. - Le Doigté de Giboyer, par G. Portelette. Paris, 1863, in-8º. - La Fille de Giboyer, par Franck. Paris, 1863, in-8º. - Le Fils de Gibaugier, ou je suis son père, comédie burlesque en 5 actes, en prose et couplets, par un académicien sérieux. Paris, 1863, in-12. - Le Fils de Giboyer pour rire, par Vemar. Paris, s.d., in-12. - Le Tour de France du Fils de Giboyer, ou recueil complet des jugements... au sujet de la Comédie de M. Augier. Paris, Gosselin, 1864, in-8º.
XXIII. La Question électorale. Paris, Lévy, 1864, in-8º.
XXIV. Maître Guérin, comédie en 5 actes, prose. Lévy, 1865, in-8º.
XXV. La Contagion, comédie en 5 actes, prose. Lévy, 1866, grand in-8º.
XXVI. Paul Forestier, comédie en 4 actes et en vers. Lévy, 1868, in-8º. Pièce dont il y eut une parodie : Paul faut rester, par Siraudin et Marc Prévost. Paris, 1868.
XXVII. Le Post-Scriptum, comédie en 1 acte, prose. Lévy, 1869, in-12.
XXVIII. Lions et Renards, comédie en 5 actes, prose. Lévy, 1870, in-8º.
XXIX. Jean de Thomeray, comédie en 5 actes, prose, en collaboration avec J. Sandeau. Lévy, 1874, in-8º.
XXX. Madame Caverlet, comédie en 4 actes, prose. Lévy, 1876, in-8º.
XXXI. Le Prix Martin, comédie er 3 actes, prose, en collaboration avec Eugène Labiche. Dentu, 1876, in-12.
XXXII. Les Fourchambault, comédie en 3 actes, prose. Lévy, 1878, in-8º.
Les œuvres d'Emile Augier ont été, en outre, réunies : Œuvres diverses, Paris, Calmann-Lévy, 1897, in-12 et Théâtre complet mêmes édit. 1890, 7 vol. in-12.




Brun-Durand Dictionnaire Biographique de la Drôme 1901

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