BARNAVE (Jean-Pierre-François)
BARNAVE (Jean-Pierre-François)), père du célèbre constituant, naquit à Vercheny (Drôme), le 4 janvier 1712. Petit-fils de François-Michel Barnave et de Jeanne Aubert, de Crest, il était le deuxième fils d'Antione Barnave, ancien officier au régiment de Maubourg, fermier général des seigneuries de Beaufort, Gigors et Lauzeron, en 1745, qui mourut le 4 février 1755, ayant, par testament en date du 17 février 1736 (Brohard, notre à Crest), fait élection de sépulture en l'église paroissiale de Vercheny et légué 20 livres aux pauvres de ce lieu, autant aux Capucins de Crest, autant aux Pénitents de Saillans, pour réparer leur chapelle ; 2,000 liv. à chacun de ses deux fils ; enfin, 30 livres plus leur dot à chacune de ses deux filles, Jeanne, femme de Paul Roman, bourgeois de Saillans, et Madeleine, fiancée de Pierre Jossaud, marchand du même lieu. Sa mère, qui avait nom Jeanne Grivet et qui testa le même jour que son mari, était d'Orange, et c'est par elle que cette branche de la famille Barnave devint protestante. Quant à son frère aîné, qui s'appelait Antoine Barnave comme son père, et qui mourut à Grenoble le 26 octobre 1788, ayant institué pour héritier noble Jean-Pierre-François Barnave, son frère et, à son défaut, noble Antoine-Pierre-Joseph-Marie Barnave, son neveu, c'est-à-dire le futur constituant, il était châtelain de Barry et Vercheny, en 1737, et portait pour armoiries : D'or au croissant d'argent accompagné de deux étoiles de... en chef et d'une tête de... en pointe.
Après avoir fait ses études à Orange, pays de sa mère, Jean-Pierre-François Barnave alla à Grenoble, où il fut reçu procureur au Parlement, en 1738, et où, ayant acquis, en 1760, une charge d'avocat consistorial, il compta bientôt parmi les chefs du barreau de cette ville. Il était surtout un homme d'affaires des plus capables et des plus occupés, ainsi que le prouve la quantité de longs et savants factums de procès qu'on a de lui, et, de plus, juge seigneurial de toutes les terres des Monteynard et de quelques autres familles. Mais cela ne lui suffit pas, ou plutôt ne suffit pas à sa femme, Marie Pré de Seigle de Presle, fille d'un major de la ville et citadelle de Montélimar, {72}qu'il avait épousée en 1760 et qui était, paraît-il, fort entichée de sa noblesse ; car, non contente de faire prendre à son mari la qualité de noble, parce que la charge d'avocat consistorial était autrefois de celles qui anoblissaient, cette jeune femme, qui était, à part cela, une femme distinguée, amena en effet, par ses prétentions, des incidents qui font partie de l'histoire de la société dauphinoise à la veille de la Révolution.
Ainsi, les clercs de son mari abandonnèrent-ils, au mois de juillet 1765, sa maison et l'étude, parce que, à l'occasion d'un dîner donné par elle, Mme Barnave les avait voulu faire manger à part, dans le cabinet de l'avocat ; ce qui fut cause que tous les autres clercs de Grenoble et des environs, assemblés au hameau de la Buisserate, déclarèrent faire cause commune avec leurs camarades. Par représailles, il est vrai, les collègues de Me Barnave s'engagèrent, à leur tour, à ne recevoir aucun des clercs de ce dernier ; mais notre avocat n'en fut que plus brocardé par les basochiens, qui firent alors retentir les rues et les cabarets de Grenoble de chansons françaises et patoises dont le secrétaire de l'Intendance, Létourneau, nous a conservé quelques échantillons.
[Quand on se cret de condition,
Qu'on é monta sur le bon ton.
On cret toujours se ravala. Alleluia !
Quand on a dé MM. bien gros,
Frisia à la rhinocéros,
Lous clercs dévont s'en écarta. Alleluia !
Quand Barnave en drap de Sardi,
De sa montagni descendit
Un éro pas grand Cambolas. Alleluia !]
dit une de ces chansons. Une autre, en français, prétend que
[De ce héros, l'aimable épouse,
Le croïant au moins écuyer,
De sa noblesse trop jalouse
A toujours craint de déroger.]
Puis elle ajoute :
[C'est ainsi qu'un homme de robe
Qui jadis vivoit sans état,
Mais qui, maintenant, plus commode,
Prend le qualité d'avocat,
Pour vouloir trop s'en faire accroire,
Se fit enfin dernièrement,
Relin, relan
Taper autant qu'on peut le croire.]
En un mot, ce grotesque incident fit tant de bruit à Grenoble et dans la contrée, qu'il ne fallut rien moins que le brutal procédé dont le commandant militaire de la province se rendit coupable, quatre ans plus tard, vis-à-vis de Mme Barnave, pour le faire oublier et retourner l'opinion en faveur de cette dame. C'était le 26 juin 1769, au théâtre, où l'on jouait pour la première fois Beverley ou le Joueur anglois. La salle était comble, et Mme Barnave occupant une des premières loges, M. de Clermont-Tonnerre lui fit dire de se retirer, attendu que la place qu'elle occupait était retenue par d'autres et, sur son refus, lui " envoya quatre Suisses, la bayonnette au bout du fusil ", dit une relation du temps ; puis, comme la jeune femme résistait, on menaça son mari de le mettre en prison. " Il fallut donc déloger, " ajoute la relation que nous venons de citer, " et toutes les dames de condition qui étaient aux secondes loges, ainsi que le parterre claquèrent des mains ", tandis que la bourgeoisie tout entière sortit avec les Barnave. Le lendemain, le Parlement s'assembla pour donner ordre au consul chargé de la police de rechercher les édits qui regardent le théâtre afin d'en ôter la police au commandant militaire, et, le surlendemain, par ordre de la Municipalité, les représentations furent suspendues jusqu'à nouvel ordre.
Mme Barnave n'était pas populaire, on le voit, puisque le parterre applaudit à son expulsion ; mais, en revanche, toute la classe moyenne prit tellement fait et cause pour elle en cette circonstance, que le spectacle manqua de spectateurs tant qu'elle n'y retourna pas, ce qu'elle ne fit qu'au bout d'un an, à la prière de l'autorité municipale. Or, indépendamment de ce que de semblables incidents fouettaient {73}l'opinion publique, toujours prête à se passionner, il n'est pas douteux que le souvenir de l'insulte faite à sa mère, qui fut son premier professeur, influa plus tard sur la conduite de Barnave. Quant au vieil avocat, son père, un moment distrait ainsi de ses travaux professionnels, il s'y renferma plus que jamais ensuite et jusqu'à sa mort arrivée à Saint-Robert, dans la maison de campagne où l'on devait arrêter, moins de trois ans après, son célèbre fils, le 14 juillet 1789.
Trompés par la similitude des noms, nombre d'auteurs ont cru que c'est lui qui représenta, conjointement avec son fils, le bourg de Saillans, dans les assemblées de Vizille et de Romans, tandis que c'est un de ses cousins, Michel Barnave, notaire, juge de paix, puis commandant de la garde nationale de ce bourg, décédé en 1793.
Jean-Pierre-François Barnave eut quatre enfants : 1º Antoine-Pierre-Joseph-Marie, le célèbre constituant, né à Grenoble, le 27 septembre 1761, et décapité le 29 novembre 1793 ; 2º Jean-Pierre-César, lieutenant du génie, né le 17 juillet 1763 et décédé le 17 mars 1784, à Paris, où il fut inhumé dans l'église Saint-Laurent ; 3º Jeanne-Françoise-Adélaïde, née le 14 juillet 1764 et mariée, le 27 fructidor an X, avec honoré Dumolard, fils d'un notaire de Laffrey ; 4º Claudine-Charlotte-Julie, née le 20 septembre 1766 et mariée, le 8 thermidor an IV, avec Christophe-Etienne Saint-Germain, sous-inspecteur des forêts du département de l'Isère. C'est, on le sait, cette dernière qui remit à M. Bérenger, de la Drôme, les papiers de son frère en le priant de les publier.
#Ed. Maignien, Généal. et arm. Dauph. - Arch. Drôme, E 1985. - Létourneau, Miscellanea, iii, 583 et suiv. - Bérenger de la Drôme. Notice hist. - Etc.
Brun-Durand Dictionnaire Biographique de la Drôme 1901
Société de Sauvegarde des Monuments Anciens de la Drôme & Les amis du Vieux Marsanne
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