DIDIER (Jean-Paul)



DIDIER (Jean-Paul)), célèbre conspirateur, né à Upie, le 25 juin 1753, était le fils unique d'un avocat des mêmes nom et prénoms et de Marie-Anne Combelle. Ayant étudié le droit en l'université de Valence, il se fit avocat à son tour, et s'étant établi à Grenoble, rue Chenoise, compta bientôt parmi les meneurs du mouvement d'idées qui devait aboutir à la Révolution, tellement que l'intendant Caze de la Bove l'ayant compris parmi les membres de l'Assemblée des trois ordres qui se tint à l'hôtel de ville de Grenoble, le 14 juillet 1788, il signa, conjointement avec Mounier et Barnave, la délibération convoquant l'Assemblée de Vizille ; représenta au sein de cette Assemblée les communautés d'Allex et de Montoison, voisines d'Upie ; rédigea, de concert avec Barnave, l'acte par lequel les trois ordres de la ville de Grenoble protestèrent, le 13 août, contre la convocation des Etats du Dauphiné dans une forme nouvelle et, finalement, siégea dans les Etats de Romans, en qualité de député du district de Valence. Seulement, comme il était par excellence de ceux qui ne voulaient que réformer les abus, il se trouva bientôt en opposition avec les autres meneurs du mouvement ; à tel point, qu'il sollicita, dit-on, l'honneur de défendre le roi Louis XVI, et qu'après avoir fait imprimer le testament de ce prince, suivi d'une protestation, il alla habiter Lyon, où, tout en faisant apparemment du commerce, il s'occupa surtout de menées contrerévolutionnaires, et, qui plus est, fut un des défenseurs de cette ville contre l'armée de la Convention.
Lyon pris, Didier se réfugia en Suisse, d'où il gagna l'Allemagne ; puis, ayant obtenu sa radiation de la liste des émigrés (11 prairial an III), il revint à Upie où il était, lorsqu'il fut élu juge au tribunal civil de la Drôme, le 26 vendémiaire an IV, ce qui témoigne de la réputation qu'il avait déjà, mais ne l'empêcha pas de transporter ses pénates à Paris, où il ouvrit un cabinet d'affaires pour radiation des listes d'émigrés et recouvrement de biens confisqués, qui ne lui rapporta pas moins de 600,000 livres en trois ans, si l'on en croit Ducoin. Reste à savoir s'il ne s'agirait pas de 600,000 livres en assignats. Car, il est bon de dire que notre Drômois fut toujours plus ou moins aux prises avec des embarras financiers, et que c'est probablement pour cela qu'il entreprit bien des choses différentes et se mêla souvent d'intrigues politiques. En tout cas, dans le temps même qu'il avait à Paris un cabinet d'affaires si productif, autrement dit en 1799, il publia, sous le voile de l'anonyme, une brochure qui fit scandale parce qu'elle était un pressant appel au pays en faveur des Bourbons ; et cette brochure n'ayant abouti qu'à des poursuites contre ceux qui l'avaient imprimée ou distribuée, l'auteur restant caché dans l'ombre, il en publia, trois ans après, une autre, dont le titre : Du retour à la Religion, et la dédicace au premier consul indiquent assez l'esprit et les tendances, et dont le succès fut d'autant plus grand que le gouvernement consulaire la fit réimprimer et répandre par ses agents, Or, c'est évidemment à cette seconde brochure que Didier dut d'être pourvu d'une chaire à l'Ecole de droit de Grenoble, lors de sa création (2 novembre 1805), puis d'être chargé de la direction de cette école et finalement d'obtenir pour son fils la sous-préfecture de Grenoble. Mais il n'en resta pas moins toujours dans une situation si difficile, qu'au moment même où certaines notes du Ministère de l'Intérieur le réprésentent comme ayant 20,000 livres de rentes et sans autre préoccupation que celle du bien public, il cherchait des ressources {251}dans une spéculation sur les vins, qui ne fut pas heureuse et l'obligea, par suite à se démettre de sa chaire et de la direction de l'Ecole de droit. C'était en 1810. Privé ainsi de ses meilleurs moyens d'existence, Didier s'occupa de travaux publics, tels que la construction d'une route dans l'Oisans, le creusement du canal de Pierrelatte et le desséchement des marais de Bourgoin ; mais, là encore, il réussit assez mal pour que le retour des Bourbons l'ait comblé de joie, parce que c'était un changement, et que tout changement est bon pour quiconque se trouve dans une situation mauvaise. Grâce à des protestations de dévouement et à sa brochure de 1799, habilement réimprimée pour la circonstance, Didier obtint, en effet, du nouveau gouvernement une place de maître des requêtes au Conseil d'Etat et la croix de la Légion d'honneur ; seulement, il perdit sa place à la seconde Restauration, à cause de l'empressement avec lequel il avait offert ses services à Napoléon pendant les Cent-Jours, et c'est alors que, privé de ressources et perdu de dettes, il se jeta à corps perdu dans les conspirations des sociétés secrètes, si nombreuses à cette époque.
La plus importante de ces sociétés dans notre région étant celle de l'Indépendance nationale, il y entra donc et, devenu aussitôt un des dix-sept commissaires chargés d'organiser l'insurrection, il tenta d'abord de soulever les Lyonnais, au mois de janvier 1816 ; puis, cette tentative ayant échoué, il gagna les environs de Grenoble, avec l'intention de s'emparer de cette ville, d'où il marcherait ensuite sur Lyon, ce qui était d'autant mieux calculé que les idées républicaines et napoléoniennes furent toujours en faveur dans cette contrée, et qu'il y devait recruter en outre quantité de soldats licenciés et d'officiers en demi-solde. Enfin, toutes mesures ayant été prises non seulement pour le groupement de ses partisans, mais encore pour le transport des munitions et des vivres secrètement amassés, le signal de l'insurrection fut donné dans la nuit du 4 au 5 mai et, à ce signal de nombreuses bandes rassemblées à la Mure, à Vizille et au Bourg-d'Oisans, marchèrent sur Grenoble, tambour battant, aux cris de " Vive l'Empereur ! " Deux cents conjurés qui se trouvaient dans la place devaient leur en ouvrir les portes, après s'être emparés par surprise des principales autorités et des différents postes. Seulement, le préfet de l'Isère et le général Donnadieu, prévenus à temps, firent échouer un plan d'ailleurs bien ordonné, en empêchant les conjurés de l'intérieur de se réunir, et lançant contre les insurgés des colonnes de soldats qui les mirent en complète déroute. Abandonné des siens, Didier, qui s'était bravement battu le sabre à la main, s'enfuit dans les bois de Saint-Martin-d'Hères et, par les montagnes, gagna Saint-Sorlin-d'Arves, petit village de la Maurienne où il pouvait se croire en sûreté, quand deux misérables, alléchés par la somme de 20,000 francs promise à qui le livrerait, le firent arrêter par les carabiniers sardes. Emmené d'abord à Turin, puis extradé et emprisonné à Grenoble, il subit un premier interrogatoire, le 23 mai, et comparut, les 8 et 9 juin, devant la Cour prévôtale de cette ville, qui le condamna à mort, après des débats aux cours desquels il fit preuve d'une grande fermeté de caractère et d'une rare énergie, assumant toutes les responsabilités pour ne compromettre personne, et témoignant surtout de sentiments religieux des plus vifs. On l'exécuta le lendemain de sa condamnation, sur la place Grenette, vingt-quatre de ses complices, condamnés par les conseils de guerre, ayant été alors déjà fusillés.
Maintenant, quel était le but de notre conspirateur ? Piller Grenoble pour refaire sa fortune, disent quelques-uns ; mais une semblable supposition ne mérite pas qu'on s'y arrête. D'autres estiment qu'il voulait rétablir l'Empire au profit de Napoléon II, bien qu'il {252}n'ait jamais parlé du fils de l'Empereur que comme d'un nom dont il se servait. Enfin, les plus nombreux pensent, avec Auguste Ducoin, l'historien le plus complet de la conspiration de 1816, que l'affaire de Grenoble doit être rattachée à un ensemble de conspirations ourdies par certains ministres de Louis XVIII, le duc Decazes entre autres, pour amener la famille d'Orléans au trône, et les faveurs dont la famille Didier jouit, sous le gouvernement de Juillet, donnent quelque créance à cette supposition. Car, il est bon de dire que le fils du conspirateur, Louis-Paul-Antione-Juvénal Didier, préfet des Basses-Alpes pendant les Cents-Jours, devint alors conseiller d'Etat et secrétaire général du Ministère de l'Intérieur, et que son gendre, Fluchaire, fut successivement préfet de la Seine-Inférieure et procureur général à Montpellier, dans le même temps.
BIO-BIBLIOGRAPHIE. - I. Détail de l'affreux événement arrivé à Grenoble. Auch, Veuve Labat, 1816, in-8º de 8 pp. - II. Détails sur les événements arrivés à Grenoble. (Paris, Sétier, 1816), in-8º de 4 pp. - III. Portraits de Didier père et Guillot, son complice. (Sétier), in-8º de 8 pp., avec deux portraits grav. sur bois dans deux médaillons ovales de 0,065 de hauteur, et au revers du titre on lit : Exposé sur la vie politique de Didier père, chef principal de l'insurrection qui a eu lieu à Grenoble... Ces trois numéros sont des canards vendus dans les rues à la nouvelle de l'insurrection. - IV. Précis circonstancié des événements arrivés à Grenoble. Paris, Chassaigneau, s.d., in-8º. - V. Fuite et arrestation du conspirateur Didier, par Al.-D. de Challabot (Albert du Boys). Lyon, 1832, in-8º de 86 pp. Brochure reproduite dans l'Echo de la Jeune France, iii, 197-204, sous le titre de : Le Délateur, épisode d'un voyage dans les Alpes, par le Solitaire des Alpes. - VI. Souvenirs contemporains. La Conspiration de Grenoble, par J.-J. Jullien. Digne, veuve Guichard, 1847, in-8º. - VII. Didier : Histoire et explications, notes et notices sur les hommes qui ont figuré dans ce grand drame, suivis du compte rendu du procès fait par M. Simon Didier au Journal de l'Isère et de celui intenté par le pouvoir aux journaux reproducteurs de la lettre de M. Simon Didier, par B. Saint-Eme (sic). Paris, Le Gallois, 1841, in-16. - VIII. Paul Didier : Histoire de la Conspiration de 1816, par Aug. Ducoin. Paris, Dentu, 1844, grand in-8º de vi-320 pp. - IX. Histoire de la Conspiration de Grenoble en 1816, avec un fac-simile des dernières lignes écrites par Didier au moment de sa condamnation à mort, par Joseph Rey, ancien conseiller à la cour royale de Grenoble. Grenoble, Barnel, Vellot et Cie, 1847, in-8º de 246 pp. C'est un tirage à part du Patriote des Alpes.
BIBLIOGRAPHIE. - I. Assemblée des Trois-Ordres de la ville de Grenoble du 13 août 1788. (Déclaration rédigée par Didier et Barnave). S.l.n.d., in-8º de 8 pp.
II. L'Esprit et le Vœu des Français en l'an VII. S.l., 1799, in-8º de 24 pp. - Autre édit. Paris, Gueffier, 1814, in-8º de 16 pp. - Autre édit., Paris, Hocquet, 1814, in-8º de viii-23 pp., avec dédicace à Mgr de Barentin, chancelier honoraire de France, signée Didier.
III*. A Sa Majesté Louis XVIII, roi des Français, ses fidèles sujets. S.l.n.d., in-8º de 6 pp. non signées.
IV. Du Retour à la Religion. Paris, Giguet et Michaud, s.d. (1802), in-8º de 53 pp. - Seconde édition corrigée et augmentée. Paris, les mêmes, 1802, in-8º de 75 pp. - Autre, un peu augmentée en 1810 et supprimée par la Censure, suivant une note de Champollion-Figeac, dans son Fourier et Napoléon, p. 275.
#Biogr. Dauph., i, 313. - Arch. de la Drôme, D, 24, et L, 91. - Pouchet, Mém. tirés des arch. de la police, v, 129-153. - Rochas, Mém. d'un bourgeois, ii, 270. - Delacroix, Stat. de la Drôme, 617. - Ed. Maignien, Dict. des anon. et des pseud. - Champollion (Aimé), Chron. Dauph., i, 110. - Quérard, Superch. litt. Vº Wilbrod. - Etc.




Brun-Durand Dictionnaire Biographique de la Drôme 1901

Société de Sauvegarde des Monuments Anciens de la Drôme & Les amis du Vieux Marsanne

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