GUÉRIN (Antoine)



GUÉRIN (Antoine)), magistrat, dont les descendants généralement connus sous le nom de Tencin, - qui est celui d'un village du Graisivaudan, dont ils acquirent la seigneurie au xviie siècle, - ont fourni un cardinal-archevêque d'Embrun et la célèbre Mme de Tencin, mère de d'Alembert, était le fils d'un colporteur des Hautes-Alpes, Pierre Guérin, qui, s'étant établi à Romans, vers 1520, y fut successivement orfèvre, changeur et maître ou directeur de la Monnaie. Ayant étudié le droit en l'université de Valence, où il prit le grade de docteur, cet Antoine Guérin devint lieutenant en la judicature de Romans vers 1559, puis juge royal de cette ville, aux lieu et place de son beau-père, Antoine de Garagnol, et paraît être décédé vers 1596, date à laquelle Henri-Antoine, son fils aîné, le remplaça dans cette charge. Il fut donc on ne peut plus mêlé aux événements dont sa ville natale fut le théâtre pendant les guerres dites de religion, et cela d'autant plus que, bien avant d'être officiellement le premier magistrat de l'ordre judiciaire à Romans, il en avait l'importance et l'autorité. Ainsi est-ce lui qui fut chargé, au mois de janvier 1562, d'apaiser le lieutenant général La Motte-Gondrin, que cinq ou six cents protestants romanais avaient assiégé dans son logis, et qui demandait réparation ; et lui encore que le maréchal de Vieilleville commit, le 12 novembre de l'année suivante, pour " procéder aux informations et visitations des ruines, démolitions et pilleries faites dans les églises et hôpitaux de Romans, depuis les édits de pacification. " Irrécusable témoignage de la confiance qu'il inspirait à tous et qui s'explique par la modération dont il fit toujours preuve, bien que fervent catholique, et dont on peut, du reste, se faire une idée par ce fait que, présidant à l'élection des nouveaux consuls, le 25 mars 1566, il exhorta l'Assemblée à faire choix " de personnes ydoines et expérimentées des affaires de la communauté, à se despouiller de toutes affections personnelles, à ne pas s'arrester à la diversité de religion, ny à mettre les ungs d'une et les aultres d'aultre religion, sans avoir esgard s'ils sont suffisants et aussy à songer aux édicts de pacification. "
A l'encontre de cela, certains historiens racontent, il est vrai, qu'à la nouvelle des massacres de la Saint-Barthélemy, les catholiques de Romans, excités par le juge Antoine Guérin, se saisirent d'une soixantaine de huguenots et les jetèrent en prison, d'où cinquante-trois ne sortirent qu'après avoir promis d'abjurer leurs croyances, et où les sept autres furent assassinés ; mais aucun document ne vient à l'appui de ce dire plus ou moins amplifié ; tandis qu'on voit, au contraire, de Gordes, enjoindre aux consuls de Romans, le 28 août 1572, de " faire faire gardes aux portes, surtout avec telle modestie qu'il ne soit faict aulcung desplaisir à {397}ceux de la nouvelle religion ", sous peine d'en être responsables, et écrire, le 19 septembre suivant, au gouverneur de cette ville, pour lui dire que les catholiques se plaignant " d'estre trop chargés de gardes ", il veut que, pour les soulager, " ceulx de la nouvelle religion soient avec eulx, chascung à leur tour, égallement comprins ésdictes gardes ", sans faire aucune allusion aux arrestations qui auraient été faites au moins trois semaines auparavant. Et si, cinq jours après la date de cette lettre, sept protestants furent effectivement assassinés dans la prison, les délibérations consulaires nous apprennent que leurs coreligionnaires avaient euxmêmes insisté pour que leurs prisonniers demeurassent " ressarés jusque à aultre commandement de M. de Gordes, " et que les suspects de sédition fussent incontinent " ressarés ou tenus ferés en leurs maisons. " On sait, en outre, par une troisième lettre de de Gordes, que ces assassinats furent le fait de gens " incogneux et masquez " ; et, enfin, le ministre Jean de Serres, dont le témoignage ne saurait être suspect, après avoir raconté le fait, sans dire mot d'abjurations imposées aux prisonniers par ceux qui les délivrèrent et qui étaient les " catholiques les plus paisibles ", ajoute : " Il n'en périt que sept, pour avoir beaucoup d'ennemis et porté les armes. " D'où l'on peut conclure que ces assassinats furent des vengeances personnelles et que ce que l'on raconte de plus est de pure invention. En tout cas, Antoine Guérin ne fut vraisemblablement pour rien dans ces tristes événements, et sa conduite fut encore si conforme aux intérêts publics, du temps que Romans était le foyer et comme la capitale d'une insurrection qui ébranla l'ordre social en Dauphiné (1579-1580), que la municipalité lui vota 50 écus de gratification, le 8 mai 1580, en récompense de ses services, et que, six ans plus tard, le roi lui octroya pour les mêmes raisons des lettres de noblesse. Quant à l'attitude qu'il eut, en 1587, vis-à-vis du comte de La Roche, ce gouverneur de Romans qui fit construire de sa seule autorité une citadelle, qu'il tenta plus tard de livrer au duc de Savoie, elle fut celle d'un homme aussi ferme et dévoué que clairvoyant ; car, devinant les projets de ce comte, il les contrecarra tellement, que La Roche l'ayant arraché de son siège et chassé de Romans, ne lui permit de revenir dans cette ville que le 19 mars 1595, c'est-à-dire moins de deux ans avant sa mort, qui arriva probablement à la fin de 1596. Mais, ce qui nous intéresse surtout, c'est qu'ayant été un témoin admirablement placé du grand mouvement insurrectionnel de 1579-1580, il en a laissé un récit aussi curieux qu'instructif, dont il existe, à défaut d'original, une copie ancienne à la Bibliothèque nationale (mss.fr.3319, p. 137), que M. Joseph Roman a publiée sous le titre de : La guerre des paysans en Dauphiné (1579-1580). Récit contemporain (Valence, 1877, in-8º de 54 p.). C'est un tirage à part du Bull. d'archéologie de la Drôme.
De Françoise Garagnol, qui mourut en 1610, après avoir légué 300 livres aux pauvres de l'Aumône générale, à charge de remettre chaque année 6 livres aux dames charitables, le jour de leur élection, Antoine Guérin eut, entre autres enfants, Henri-Antoine, seigneur de Froges, qui, lui ayant succédé dans la charge de juge royal de Romans, fit, à son tour, preuve de courage en convoquant, le 19 octobre 1597, une assemblée pour s'opposer aux projets du comte de La Roche. Un des fils d'Henri Antoine fut père de François, conseiller au parlement de Grenoble de 1637 à 1674, et le premier de cette famille qui ait été seigneur de Tencin ; un autre le capucin Melchior Guérin, est l'auteur d'un Abrégé de l'histoire sainte et de l'histoire profane, qu'on a attribué par erreur à son aïeul, Antoine, juge royal de Romans. Enfin, c'est par erreur encore qu'on a pris pour un des descendants de ce dernier, l'avocat François Guérin, un des défenseurs du tiers état du Dauphiné {398}dans le fameux procès des tailles, attendu que celui-ci, qui fut ensuite garde des sceaux de la Cour des aides de Vienne et conseiller à la Cour souveraine de Bourg-en-Bresse, et mourut en 1661, était de Vienne et d'une famille étrangère aux Guérin de Romans.
#Dr Chevalier, Arm. de Romans, 110, et Annales, 47, 100. - Arch. de Romans, BB, 14, 15, 16. - ld. Hosp. de Romans, xii, B, i. - Lacroix, Romans et le Bourg-de-Péage, 68, 106, 328. - Dr Long, La Réforme, 103. - E. Arnaud, Hist. prot. Dauph., i, 266. - J. Roman, Documents, 181. - Guy Allard, Bibl., 120. - Etc.




Brun-Durand Dictionnaire Biographique de la Drôme 1901

Société de Sauvegarde des Monuments Anciens de la Drôme & Les amis du Vieux Marsanne

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