RABOT (Jean)



RABOT (Jean)), deuxième du nom, une des plus grandes illustrations du Dauphiné, en même temps que l'homme le plus remarquable d'une famille qui a cependant fourni bien des gens de valeur, était fils du notaire Bertrand Rabot et, comme lui, naquit vraisemblablement à Crest, en 1429 suivant Chorier, qui le fait mourir à 71 ans ; cinq ans plus tard, suivant Guy Allard, dont la biographie de ce personnage n'a pas dû être écrite d'après des papiers de famille, quoi qu'en dise Rochas, attendu qu'elle ne donne pas toujours les mêmes dates que la généalogie dressée au xviie siècle par un descendant de Jean Rabot. Etant allé étudier le droit à Turin, Jean Rabot y fut reçu docteur le 3 septembre 1464 ; revenu alors à Crest, il obtint au mois de mars 1469 la charge de visénéchal de cette ville, charge dans laquelle il se signala aussitôt en élaborant un " style ", autrement dit une sorte de code de procédure pour le tribunal qu'il présidait et dont le ressort était assez étendu. Puis, comme ce n'étaient pas là des occupations suffisantes pour son activité et pour son ambition, il demanda à partir, quoique magistrat, en qualité de gentilhomme, quand le comte de Comminges, gouverneur du Dauphiné, convoqua la noblesse du pays pour aller guerroyer en Bresse. Seulement Comminges, tout en lui donnant acte de son offre (6 avril 1470), " le renvoya à son tribunal, se contentant de sa bonne volonté ", dit son biographe ; et malgré cela, notre jeune magistrat se vit bientôt attribuer, en récompense de son dévoûment et de son zèle, une des trois charges de conseiller qui furent créées au parlement de Grenoble en 1471.
Nommé le 1er juin de cette année-là, il fut installé le 2 juillet suivant, et dès l'instant qu'il fit partie de cette cour, c'est à lui qu'échurent presque toujours les missions difficiles et délicates. Ainsi le voit-on chargé, dès le 24 avril 1473, de recevoir l'hommage des barons et gentilshommes du Vivarais dont les terres relevaient du fief delphinal, et quelques temps après, de se prononcer sur une violation du droit d'asile existant autrefois à Vienne, au lieu dit la Table-Ronde, pour les débiteurs insolvables ; après quoi il fit dresser le procès-verbal des procédures faites dans le différend existant entre le pape et le roi de France, touchant certaines clauses du testament du dernier comte de Valentinois (1475). Puis, il élabora la plupart des règlements édictés, le 25 mars 1476, par les Etats du Dauphiné ; mais ce n'est cependant qu'un peu plus tard que son rôle eut toute son ampleur. Les relations qu'il avait nouées à Turin du temps qu'il y étudiait le droit, jointes à la variété de ses aptitudes et à la souplesse de son esprit, le désignant plus que tout autre pour une semblable mission, il fut envoyé près du duc de Milan et de la République de Florence, au mois de janvier 1478, pour s'assurer de leurs sentiments à l'endroit de notre pays, et parcourut ensuite, dans le même but, d'autres contrées de l'Italie. " Il alloit de province en province, il {288}prenoit langue partout, il s'instruisoit des affaires particulières où le roy avoit intherest et il étudia les sentiments des peuples, la politique des nations ", dit son biographe. C'était se préparer on ne peut mieux à de plus importantes missions, en même temps que bien remplir son mandat. Et de fait, le vieux roi Louis XI, qui l'avait peut-être personnellement connu pendant son séjour en Dauphiné, l'ayant envoyé à Rome, dans ses derniers temps, pour y traiter, conjointement avec Guillaume Briçonnet et le prince de la Rochesur-Yon, certaines affaires, il y resta ensuite quatre ans, en qualité d'ambassadeur ordinaire du roi de France auprès du pape Sixte IV ; et c'est au retour de cette ambassade que doit être placé l'événement le plus considérable de sa vie : nous voulons parler de son intervention dans la guerre contre les Vaudois, intervention qui ne commença pas seulement en 1499, comme le dit Rochas, ni même dix ans plus tôt, comme le prétendent la plupart des historiens, mais bien dès 1487, ainsi que le prouve ce passage d'un livre de compte du temps : " l'an Mil IIIIc lxxxvii son sec so que you Fazi de Rama ay peya per nosto part de las despensas des Vaudes, tant per lo comesari dal papo, mons l'arsediaque de Cremono et per mons de Varas, luxtenent dal Dalphine, et mesier Johan Rabot, et mestre Zacharias Meron, grafier,... ".
Chargé par le parlement de Grenoble de se rendre compte de l'état d'esprit de ces hérétiques, dont la conversion au catholicisme était depuis si longtemps un but âprement poursuivi et qui, chassés des contrées environnantes, formaient alors comme un petit peuple à part dans la Vallouise, il se rendit à Embrun, pour s'entendre préalablement avec l'archevêque de cette ville, et de là à St-Crépin, où il avait convoqué les députés des Vaudois et où il eut une première conférence avec eux, le 30 janvier 1488 ; après quoi ils se rendirent ensemble à Briançon, dont le juge, Oronce Emé, lui avait été adjoint pour cette information, et où il y eut d'autres pourparlers en présence de l'inquisiteur Albert de Cattanée. Mais les députés des Vaudois étant retournés dans leurs vallées, au bout de quelques jours, après avoir fait " afficher pour un soir devant les maisons de ces juges des placards fort injurieux ", notre conseiller leur dépêcha le gouverneur de Pragelas, " pour sçavoir leur dernière volonté, " et celui-ci ayant rapporté " qu'ils estoient inébranlables dans leur obstination ", c'est alors que le parlement de Grenoble décida, " que nonobstant l'appel interjecté par ces hérétiques par-devant le pape de toutes les procédures qui avoient esté faictes par ces juges, il seroit levé une armée pour entrer dans ces vallées et en chasser les rebelles. " Or, cette armée, que la généalogie des Rabot dit avoir été de sept à huit mille hommes, ayant été levée et mise sous le commandement d'Hugues de la Palud, lieutenant général du gouverneur du Dauphiné, Jean Rabot en fut l'intendant et, comme tel, retourna en toute hâte à Briançon, pour assurer les subsistances de ladite armée et tenter une démarche suprême auprès des Vaudois. C'était au mois de mars de cette même année 1488. Nous n'avons pas à raconter cette campagne, parce qu'il faudrait, pour cela, dépasser et de beaucoup les limites qui nous sont assignées ; bornons-nous donc à dire que Rabot, qui fut assez heureux pour ramener par la persuasion les Vaudois de Freyssinières et ceux de L'Argentière, ne semble pas s'être associé, autant que le donne à entendre Guy Allard, aux cruautés qui furent alors commises.
Moins de trois ans après cette triste guerre, notre magistrat diplomate était renvoyé à Rome, en compagnie du seigneur de Rochechouart, pour le règlement de quelques ques{289}tions bénéficiales, et il en rapporta une note confidentielle du pape, qui doit être considérée comme la préface de l'expédition de Naples, attendu que le Souverain Pontife y engageait très fortement le roi de France a conquérir le royaume d'Alphonse d'Aragon, lui promettant pour cela son concours. Bien que non datée cette note est évidemment d'Alexandre VI, qui monta sur la chaire de Saint Pierre le 11 août 1492, car c'est le 23 août 1494 que Charles VIII, partant pour cette conquête, arriva à Grenoble avec son armée. Or, ayant alors pris logement chez Rabot, dont la maison était rue Bournolenc, plus tard rue des Vieux-Jésuites, et à présent rue J.-J.-Rousseau, près des remparts, Charles VIII emmena avec lui en Italie son hôte, en qualité de conseiller maître des requêtes de son hôtel. Pour tout dire notre Dauphinois fut le jurisconsulte de l'expédition, et à ce point que les Pisans ayant supplié, à son passage, le roi de France de les délivrer de la tyrannie des Florentins, ce prince n'accueillit favorablement leur demande qu'après avoir publiquement pris l'avis de Rabot, qui se trompa lourdement en se prononçant dans ce sens, au dire de Commines.
A Rome, le même prince, après avoir fait un traité avec le pape, laissa notre conseiller pour surveiller ses intérêts, et lorsqu'il le rappela auprès de lui, trois mois plus tard, la ville de Naples étant prise, ce fut pour le faire chef de la magistrature dans son nouveau royaume, ou " logothète ", aux appointements de 72 ducats d'or par jour, suivant Guy Allard, ce qui est invraisembable ; " chef de la justice et directeur général aux gages de 30 escus d'or larges chascun un jour ", dit la généalogie des Rabot, ce qui est encore beaucoup, l'écu d'or valant un peu plus de dix francs d'aujourd'hui. Seulement, ce ne fut là qu'une situation éphémère, comme la conquête du royaume de Naples, du reste ; car les Napolitains, qui avaient acclamé les Français le 12 mai 1495, se soulevèrent contre eux le 7 juillet suivant, et ce jour-là Rabot fut surpris chez lui, à son lever, par des gens qui " fourragèrent tous ses biens, volant tant en or, argent que autres biens sept à huits cents ducats d'or, et ne luy laissèrent qu'un manteau, ses chausses et souliers et un petit bonnet de nuit en sa teste ", après quoi il le jetèrent en prison, d'où il ne sortit qu'au bout de 328 jours, et où il serait resté davantage si le cardinal Briçonnet son ami, ne lui avait prêté 120 ducats pour payer sa rançon. Toutes ces choses sont racontées en détail dans une lettre que notre conseiller écrivit, de Lyon, au roi, le 18 mars 1497, et non un an plus tôt, comme on l'a dit, attendu qu'au mois de mars 1496 il était encore dans les prisons de Naples. Finalement, le personnage qui nous occupe ici, ne rentra guère en France que pour assister à un changement de règne dont il n'eut pas à souffrir ; car, Louis XII ayant succédé à Charles VIII, un de ses premiers soins fut de confirmer un don de 1,500 livres, fait à Rabot par son prédécesseur, " pour partie des grands frais, mizes, pertes et dommages " par lui éprouvés au " royaume de Cisille. " Les lettres de confirmation du nouveau roi sont du 24 août 1498, - et, en prince avisé qu'il était, il ne manqua pas ensuite d'utiliser l'expérience, et le dévoûment de notre compatriote. Il l'employa notamment dans les négociations qui aboutirent à son mariage avec la veuve du roi son prédécesseur, Anne de Bretagne ; puis, auprès de l'empereur Maximilien, qui gratifia Rabot d'un " grand goubeau d'argent doré, sur lequel il y avoit la figure d'un Hercule, lequel goubeau estoit plain de médailles d'or ; " ensuite, dans une grande ambassade qui fut envoyée à Rome, " pour traiter du Concordat entre le Sainct-Siège et le Roy ", c'est-à-dire probablement de la Pragmatique Sanction dont la {290}cour de Rome réclamait à cor et à cri l'abolition. Enfin, il l'envoya au roi d'Aragon et de Castille, pour la conclusion du traité secret de Grenade, qui décida la conquête du royaume de Naples et son partage entre Louis XII et ce souverain ; et c'est en revenant de remplir cette dernière mission, qu'il mourut à Avignon, le 27 juillet 1500, ayant fait le jour même un testament dans lequel il demandait à être inhumé dans l'église Notre-Dame des Doms, ce qui eut lieu.
De Michelle d'Eurre, il laissa dix enfants, dont l'aîné appelé Bertrand, comme son aïeul, était alors pourvu, depuis cinq ans (3 août 1495), de sa charge de conseiller au parlement de Grenoble.
BIO-BIBLIOGRAPHIE. - La vie de Jean Rabot, conseiller au parlement de Grenoble et chancelier ou Logothète de Naples, par Guy Allard. Elle forme une brochure de 40 pp. in-8º, et la livraison de mai 1852, des Delphinalia publiés par M. Gariel, bibliothécaire de la ville de Grenoble.
#Biogr. Dauph., ii, 306. - Chorier, Hist. gén., ii. - Hist. de la maison de Rabot, édit. J. Chevalier, 13 et suiv. - Commines, Mém., liv. vii, ch. 9. - Guill. de Villeneuve, Mém. - J. Chevalier, Mém. sur les hérésies en Dauph., 81, 83, 84, 101. - Bull. acad. delph., i, 455.




Brun-Durand Dictionnaire Biographique de la Drôme 1901

Société de Sauvegarde des Monuments Anciens de la Drôme & Les amis du Vieux Marsanne

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