VEILHEU (Charles)



VEILHEU (Charles)), arrièreneveu du précédent, est bien l'une des plus étranges figures d'une époque qui ne manque cependant pas de figures étranges. Fils d'un autre Charles Veilheu, premier consul de Romans en 1576, qui fut pourvu d'un office de conseiller en la Chambre des comptes de Dauphiné le 26 juin 1587, et mourut à Romans le 12 août 1626, ayant donné, seize ans auparavant, cent écus pour la fondation du couvent des Capucins de cette ville, et léguant par testament, en date du 24 août 1623, une rente annuelle de cinq setiers de froment aux pauvres et 150 livres de capital à chacun des couvents de Romans et du Bourg-de-Péage, il étudia le droit à Valence, et, y ayant pris le grade de docteur, fut d'abord avocat à Grenoble. Ayant ensuite acquis une charge de conseiller au parlement de cette ville, il y fut nommé le 24 décembre 1615 et reçu le 6 février suivant, mais il la résigna au bout d'un an, en faveur de son beau-frère, Gaspard de Virieu, seigneur de Bizonnes et de Ponterrays, pour se faire religieux dans le couvent des Célestins de Paris, et là encore, à peine eut-il fait ses vœux, qu'il s'en fit relever, avec la complicité d'un médecin, pour se faire protestant.
Au sortir du couvent des Célestins, il alla donc à Genève, muni de lettres de recommandation de La Milletière et de l'avocat général Servin, deux calvinistes fameux, qui ne doutaient pas que la fougueuse éloquence de Charles Veilheu ne fît un très grand effet sur les masses, et probablement aussi de Duplessis-Mornay, qui lui écrivait en 1617, pour le féliciter de sa conversion au protestantisme. Or, à Genève, notre Dauphinois, après avoir fait de la controverse avec les ministres et de la politique avec Agrippa d'Aubigné, écrivit un ouvrage intitulé De la Communion à Jésus-Christ, dans lequel il prétendait " faire choquer les deux cardinaux Bellarmin et Du Perron en la matière de l'Eucharistie ", ouvrage qui, cependant, n'a probablement pas été imprimé. De là il se rendit à Bâle, pour y étudier les langues orientales ; enfin, il devint pasteur à Nîmes en 1624, c'est-à-dire pendant la révolte de Rohan. Rien ne lui convenait mieux ; car, la société protestante nîmoise étant alors partagée en deux camps, dont l'un soutenait Rohan révolté, tandis que l'autre inclinait vers la paix, il se prononça hautement en faveur de la révolte, bien que tous les autres pasteurs fussent d'un avis contraire. Il alla même jusqu'à la prêcher ouvertement dans le temple, les 1er et 2 juin 1625, disant que ceux qui ne voulaient pas la guerre " ne retireraient pas d'autre bénéfice de leur dévoûment à la Cour que d'être mangés les derniers. " Ce langage provoqua naturellement de l'agitation dans la ville. Voyant cela, les chefs du camp opposé, - qui avaient compris de bonne heure qu'ils avaient affaire à un vaniteux, et parmi lesquels étaient le juge mage et le lieutenant particulier au présidial, - lui persuadèrent que Rohan compromettait la cause protestante par sa révolte et qu'il appartenait à lui, Veilheu, d'être le " restaurateur des églises. " Or, pris par son faible, notre pasteur écrivit aussitôt à Rohan, dont l'arrivée à Nîmes était imminente, que la main qui tenait sa plume, " tiendrait le verrou qui lui fermerait l'entrée de la ville " ; et, ce dernier, qui se sentait un peu à sa merci, eut beau l'appeler " Patriarche des églises " pour le ramener à soi, au moins dans une certaine mesure, Veilheu répliqua en {387}l'appelant tête sans cervelle et en l'accablant, le lendemain, dans son sermon. Cette attitude ne l'empêcha pas cependant d'écrire secrètement, quelques jours après, à Rohan, qui voulait faire périr le pasteur Paulet, parce que celui-ci avait entraîné le consistoire dans le parti du roi : oportet igitur hominem mori pro populo, - conduite d'autant plus odieuse qu'ayant été prié d'intervenir en faveur de ce même Paulet, il avait répondu qu'il ne connaissait pas Rohan.
En résumé, Veilheu ne voulait qu'une chose, dominer à Nîmes, et comme les autres pasteurs ses collègues n'étaient point disposés à subir sa domination, il chercha un point d'appui dans la populace, dont il flattait les passions et dont il devint bientôt à ce point l'idole que, s'étant emparée de l'Hôtel de Ville, le 30 juillet 1625, elle acclama notre pasteur, disant qu'elle ne voulait que lui, attendu que les autres n'étaient pas gens de bien ; après quoi elle le chargea de désigner lui-même les membres du conseil de ville, et tous ceux qui voulurent alors faire entendre des paroles de paix furent insultés et menacés. Or, l'une des premières conséquences de ce triomphe de la sédition à Nîmes ayant été le retour de Rohan dans cette ville,, celui-ci ne manqua pas de prodiguer à Veilheu les témoignages de confiance et d'estime, bien qu'il n'eût rien oublié ; mais ce dernier, tout en lui témoignant à son tour de la sympathie, travailla si bien contre lui, qu'il le mit en échec lors de l'élection des députés de la ville de Nîmes à l'assemblée de Milhau. En effet, le prince révolté ayant recommandé de faire choix de " membres des trois ordres, gens de bien non suspects ", ce sont trois hommes du peuple, dont un cordonnier et un corroyeur, qui furent élus sous l'influence de notre pasteur, qui profita ensuite d'une absence de Rohan pour appeler à Nîmes les petits-fils de Montbrun, son compatriote, et faire proclamer bientôt après Saint-André, l'un d'eux, lieutenant général des églises réformées en Languedoc. Ce dernier étant encore bien jeune, il croyait gouverner le parti sous son nom, tandis que Saint-André-Montbrun fit au contraire peu de cas de ses avis ; et, cela étant, Veilheu n'eut alors rien de plus pressé que de se prononcer pour la paix, allant jusqu'à dire en chaire, le 1er mars 1626, qu'il fallait maintenant " rendre grâces à Dieu et honorer le roi de tout son cœur. " Cette volte-face le rendit naturellement suspect aux Nîmois. En dépit de cela et malgré l'opposition de Saint-André-Montbrun, qui l'appelait, non sans raison, " girouette à tous vents ", il fut bien encore adjoint au modérateur de l'assemblée qui se tint à Nîmes, le 20 mars ; mais sa situation dans cette ville n'en fut pas moins si difficile, dès ce momentlà, qu'il dut s'en éloigner bientôt après, le séjour de dix-huit mois ou deux ans qu'il y avait fait n'ayant été marqué que par la part qu'il prit à une suite ininterrompue de troubles, de séditions et de désordres.
Quittant Nîmes, Charles Veilheu se rendit à Paris, problablement pour y terminer une traduction du Pugio fidei, dont il s'occupait déjà en 1624, à ce que nous apprend une lettre de Peiresc au bibliothécaire Du Puy ; et c'est alors qu'il eut, avec la maréchale de Châtillon, calviniste fervente, les relations dont parle Tallemant des Réaux, qui l'appelle M. Le Veilleux. " Elle se mit, dit-il, en tête d'entendre la sainte Ecriture, et pour cela elle s'enfermoit des après-dinées entières avec un ministre mal bâti qu'on appeloit M. Le Veilleux, et cela si souvent qu'on commençoit à en dire des sottises... " " Ce M. Le Veilleux, ajoute-t-il, étoit un homme qui, sans affectation, faisoit pourtant ses oraisons à contre-temps. Lui et la maréchale se promenoient quelquefois trois heures dans le parc, et on les trouvoit souvent en orai{388}son au pied d'un arbre. Cet homme étoit un peu fou, et en priant Dieu il demeuroit quelquefois comme en extase. Il lui échappoit parfois de belles choses. Il avoit près de quatre mille livres de rentes, qu'il employoit à assister les pauvres et il ne se maria que quand il eut dissipé une partie de son bien, afin de faire des gueux. Le maréchal ne prit point plaisir à ces promenades de sa femme et y mit ordre. " Ce ne fut pas, en tout cas, avant le 3 mars 1629, attendu qu'à cette date le marquis de La Force écrivait à sa femme : " J'ai reçu une lettre de Mme de Châtillon et de M. Le Veilleux. " Tout ce que l'on doit, semble-til, retenir de cela c'est que Charles de Veilheu était une tête mal équilibrée et un homme charitable, ce qui explique et excuse bien des choses. Du reste, devenu ensuite pasteur à Orange, il y vécut tellement en dehors de toutes les agitations et de tous les bruits, que nous ne saurions pas qu'il y mourut, sans le procès que sa veuve et héritière eut en 1660 avec un conseiller au parlement d'Orange. Remarquons que cette veuve, qui s'appelait Marie de Chandieu, était fille de Jean, seigneur de Polo, et conséquemment petite-fille du fameux pasteur Antoine de Chandieu.
#Dr Chevalier, Arm., 214. - Inv. arch. Isère, ii, 30, et Arch., B, 1035. - France prot., ix, 456. - Recueil des événements... arrivés... notamment en Languedoc et spécialement dans Nismes, par Rulman, mss. de la Bibl. nat., nº 8650. - Tamizey de Larroque, Lettres de Peiresc aux frères Dupuy, i, 47. - Tallement des Réaux, v, 205. - Mém. de La Force, iii, 307. - Bull. d'arch., xvi, 442. - Etc.




Brun-Durand Dictionnaire Biographique de la Drôme 1901

Société de Sauvegarde des Monuments Anciens de la Drôme & Les amis du Vieux Marsanne

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