AYMON (Etienne-Isidore-Théophile)



AYMON (Etienne-Isidore-Théophile{50}), deuxième fils d'André et de Marguerite Michel, naquit à Romans, vers 1659, et succéda, vers 1700, à son père, dans la charge d'écuyer portemanteau du Roi, que ce dernier, ancien marchand, avait acquise en 1661 et dont son fils obtint la survivance dès 1673. Mais ce n'est évidemment pas là ce qui lui a valu une certaine célébrité ; car celle-ci tient uniquement à ce que notre Romanais fut le fondateur et le chef d'une sorte d'académie satirique et littéraire qui fit grand bruit au siècle dernier, sous le nom de Régiment de la Calotte.
Fondée vers 1702, cette société, qui se proposait, tout à la fois, de se moquer et d'enrôler les mauvais auteurs et les sots, ou plutôt les excentriques, en partant de cette idée que tout le monde l'est plus ou moins, emprunta son nom à la calotte de plomb que l'on préconisait alors contre les maladies mentales. Elle avait pour emblèmes la lune et une marotte, avec ces devises : Luna influit favet Momus et : C'est régner que de savoir rire, et ses membres, qui se reconnaissaient fous les premiers, tenaient leurs séances à table. Enfin, tout nouveau membre devait faire, au dessert, un discours de réception, contenant l'exposé de ses propres travers, ensuite de quoi on lui délivrait un brevet dans le genre de celui qui fut délivré à Jean-François Leriget de la Faye, secrétaire du cabinet du Roi, puis lieutenant-colonel d'infanterie, et dont voici les passages les plus saillants :
[Nous, général de la Calotte,
Persuadé qu'en tout état,
Les grands fripons sont nécessaires
Et que dans certaines affaires,
L'usage en est très délicat,
Qui blancs au dehors comme neige,
Sont au dedans noirs comme poix,
Ne reconnaissant d'autres lois
Que celle de prendre sans cesse,
(N'importe point de quelle part),
Et réaliser en espèce,
Aux dépens du tiers et du quart.
...
Nous reposant sur son génie
A nier ce qu'il a promis,
A trahir ses meilleurs amis,
A souffrir affront, incartade
Et menace de bastonnade,
Lui donnons pour profits et gages,
Deux mille écus sur les nuages
Et brouillards du pays normand,
Où tenir parole et serment
Est une méthode abusive ;
Voulons qu'il ait voix décisive,
Dans tout conseil où nous serons
Contraint d'employer les fripons,
Lui décernant double calotte,
Avecque notre grand cordon.
...
Fait au conseil du régiment,
L'an surnommé l'an aurifère,
Par le système Terrasson.
Signé : Torsac et moi Aymon.]
Ou bien encore dans le genre de celui de greffier du Régiment, qui se termine ainsi :
[Au pardessus lui faisons don
De notre calotte de plomb,
De finette en dedans fourrée,
Et de notre grand sceau timbrée,
Avec les grelots de laiton.
Signé : Torsac et moi Aymon.]
Torsac était un exempt des Gardes du corps, ami d'Aymon, qui donna, diton, l'idée de cette société plaisante en disant, un jour de migraine, qu'il lui semblait avoir une calotte de plomb ; qui en fut, en tout cas, un des organisateurs et qui, Aymon étant alors général du Régiment de la Calotte depuis sa création, en fut proclamé le généralissime, en 1720, à la suite de certaine vanterie qui dépassait toutes les gasconnades connues. Il paraît même que, profitant d'une absence d'Aymon, qui allait souvent à Romans pour ses affaires, il fit interdire ce dernier, l'année suivante ; ce dont Aymon se vengea en faisant exclure, à son tour, Torsac. Mais la mort de celui-ci, en 1724, arrangea si bien toutes choses, que notre Romanais se fit un devoir de rendre hommage à la mémoire de ce " monarque universel du monde sublunaire ", en prononçant une oraison funèbre, qui fut ensuite imprimée sous le titre : Première séance des Etats Calotins, contenant l'oraison funèbre de Jean-Philippe-Emmanuel de Torsac, généralis{51}sime du régiment de la Calotte. (A Babylone, chez Pierre de la Lune, rue des Rats, aux armes du régiment. In-4º de 54 pp.) Et nous pouvons ajouter que cette pièce est, en son genre, un petit chef-d'œuvre de fine critique et d'honnête raillerie, qui donne une idée exacte de la tournure d'esprit de son auteur et des justes limites qu'il entendait assigner à son régiment. Seulement, il faut dire aussi que l'on ne suivit guère son exemple, car indépendamment de ce qu'il y eut des contrefaçons, de faux " calotins " qui emplirent la capitale de la France de satires et de pamphlets souvent obscènes et toujours sanglants, les vrais " calotins " dépassèrent bien vite la mesure. Des ministres, comme Le Pelletier des Forts, à qui l'on décerna un brevet de bourreau du Régiment ; des cardinaux et de grandes dames furent cruellement malmenés par eux, à ce que raconte Barbier, qui donne à entendre que le Régiment de la Calotte est une association de polissons du pays, dans laquelle on a fait entrer " tous ceux qui auraient besoin de la calotte et qui ont la tête légère ".
Redevenu, par le fait de la mort de Torsac, le chef incontesté de la société qu'il avait fondée, Aymon profita de la publication des Mémoires pour servir à l'histoire de la Calotte (Basle, 1725, deux parties in-12), recueil dans lequel un certain nombre de pièces avouées par les " calotins ", se trouvent mêlées à d'autres qui ne l'étaient pas, pour faire insérer, dans Le Mercure d'octobre 1726, une note ainsi conçue : " Sous le nom du Régiment de la Calotte on a publié un grand nombre de satyres calomnieuses contre des personnes respectables par leur naissance et par leur mérite. Les chefs du Régiment n'ayant jamais eu en vue qu'une critique badine des ridicules qui ne portent ni sur les conditions, ni sur les mœurs, ont cru, pour l'honneur du corps, devoir s'élever contre un pareil attentat et dissuader le public contre des idées fausses que ce livre pourrait leur donner. " Sous couleur de dégager sa responsabilité à l'endroit du recueil publié, il rappelait aux " soldats " du Régiment, les vraies doctrines ; mais il prêcha dans le désert et, voyant cela, notre homme, qui était d'ailleurs assez âgé pour se tenir à l'écart d'un jeu aussi dangereux que celui des pamphlets, ne s'occupa guère plus des affaires de la Calotte, jusqu'à sa mort arrivée à Versailles, le 6 mai 1731. Le lendemain, on l'inhumait dans le cimetière de l'église Saint-Louis, en présence de " M. Antoine, porte-arquebuse du roi ; de M. de la Porte, maistre d'hôtel du roi, et de M. Du Port, huissier de la chambre du roi ; " et c'est, conséquemment, à tort que Dochier et, après lui, M. le docteur Chevalier, ont dit que le général de la Calotte fut enterré en l'église Saint-Nicolas de Romans.
Aymon mort, le Conseil du Régiment le remplaça par un Achille de Saint-Martin, qui fit l'oraison funèbre de son prédécesseur, et il en fut ainsi jusqu'aux approches de la Révolution ; mais avec celui qui fut son premier chef, la Calotte perdit toute son importance et celle-ci ne saurait être discutée. Cela d'autant plus, que Louis XIV devenu vieux et morose ne craignait pas d'entretenir son porte-manteau des affaires de la Calotte, pour se distraire, et que son arrière-petit-fils et successeur, le roi Louis XV, plaisanta plus d'une fois Aymon à ce sujet. Aussi raconte-t-on que ce dernier prince lui ayant demandé un jour quand on lui délivrerait son brevet de membre du régiment de la Calotte : " Sire, nous vous guettons ", lui répondit-il, et comme le roi s'enquérait du jour où l'on passerait le régiment en revue : " Il n'y aurait personne pour la voir passer ", riposta Aymond. Enfin, on sait que le conseil de la Calotte fut un soir admis à entrer chez le roi, drapeau en tête, et qu'il y figura dans un ballet de la folie, que nous croyons être La Folie de Cardenio, pièce de Coypel, qui fut jouée devant le roi, en 1720. Terminons en rappelant qu'Avmon fit {52}graver par Roëttiers, tailleur général des monnaies du royaume, une médaille et un timbre sec pour le Régiment de la Calotte et qu'il dessina lui-même les armoiries de ce régiment, qui étaient d'or à une marotte de sinople en pal, accompagnée de papillons sans nombre de différentes couleurs, au chef de sable chargé d'une lune d'argent accostée de deux croissants de même. De plus, il fit composer pour lui, une marche guerrière, par Dornel, organiste de Sainte-Geneviève.
ICONOGRAPHIE. - I. Port. grav. à l'eauforte, petit in-fol. par L.C.C. (le comte de Caylus) ; terminé au burin par Joullain, avec cette légende : Aymon, premier général de la calotte. Mi-corps, vêtu d'une simarre serrée à la taille, et la main gauche appuyée sur une marotte, dans un ovale. Aux angles des papillons et au bas, dans la marge, les armoiries du Régiment. Ce portrait se trouve encore avant la lettre, avec et sans armoiries ni papillons. - II. Autre petit in-8º. Copie du précédent, ayant en bas, à gauche, les initiales B.A., et en haut : page 60, parce qu'il se trouve dans le Conseil de Momus et la Revue de son régiment, Poëme calotin, qui fait ordinairement suite à l'oraison funèbre d'Aymon. - III. Copie en contre-partie des précédents, petit in-8º, avec cette légende : Aymon, premier général de la Calotte, et au bas, à gauche : Ch. Coypel, del. On trouve quelquefois ce portrait tiré en regard d'une autre planche représentant le Drapeau du Régiment de la Calotte, inventé par le général, et au bas de laquelle il y a les petites maisons et, en marge : Ch. C*** Surugue excudit. - IV. Autre, grand in-fol. Aymon vêtu comme dans les portraits précédents, tenant une marotte à la main et assis sur des nuages, est dans un cercle, autour duquel sont des attributs des arts et des inventions et, en haut, des torrents de fumée sortant d'une cheminée. En bas, on lit : Luna duce Auspice Momo omnia moventur. Illustrissimo D.D. Aymon totius orbis Calotini dignissimo, nec non vigilantissimo prœposito generali, a se inventam depictamque tabulam Eximia hilaritate dicabat, consecrabat Joan.-Baptista...a nobilibus ordinariis mdccxxx, et à droite : Saint-Maurice sculpebat, 1733. - V. Copie au trait du précédent, avec ce texte : Aymon 1er capitaine, dans le tome I du Musée de la Caricature, par Daime.
BIO-BIBLIOGRAPHIE. - I. Journée Calottine en deux dialogues : 1º Association de la République Babinienne au Régiment de la Calotte ; 2º Oraison funèbre du général Aymon I. A Moropolis, chez Pantaléon de la Lune, imprimeur et libraire ordinaire du Régiment. L'an 7732 de l'Ære Calottine, in-8º de 121 pages. - II. Aymon, 1er général de la Calotte, par Ad. Rochas. Valence, 1881, in-8º de 16 pp.
#Dr Chevalier, Arm. de Romans. - Bull. d'Archéol. xv, 25, et 393-409. - Barbier, Chron. de la Régence, i, 207, 447 ; ii, 23. - Etc.




Brun-Durand Dictionnaire Biographique de la Drôme 1901

Société de Sauvegarde des Monuments Anciens de la Drôme & Les amis du Vieux Marsanne

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