AYMON (Jean)



AYMON (Jean)), écrivain protestant dont la famille, bien que roturière, avait une origine commune avec celle du précédent, naquit à Romans, vers 1661. Ayant fait ses premières études à Grenoble, il les continua à Turin et prit ensuite les grades de docteur en droit civil et canonique et de docteur en théologie à Rome, où l'évêque de Saint-Jean-de-Maurienne, qui faisait partie de la maison pontificale, se l'attacha comme aumônier, après l'avoir fait ordonner prêtre bien qu'il n'eût pas encore alors l'âge requis par les canons. Brouillé ensuite avec ce prélat, il retourna à Grenoble, où le cardinal Le Camus le nomma curé de Chazelet près la Grave en Oisans, poste infime qui ne devait, certes, pas convenir à un ambitieux à l'esprit inquiet. Aussi notre homme n'y fut-il pas plus tôt installé, que, rêvant d'autres destinées, il profita des relations qu'il avait conservées à Rome, pour se faire donner le titre de protonotaire apostolique, au mois de juin 1687. Cela a fait croire aux biographes qu'Aymon retourna alors dans la capitale de la catholicité, et La France protestante ajoute même qu'il " eut le talent de s'y faire bien accueillir et devint un petit personnage de la Cour apostolique " ; tandis qu'il n'obtint, en réalité, qu'un titre purement honorifique ne lui donnant aucune action sur les affaires de l'Eglise et resta, en somme, dans sa petite cure de l'Oisans, ainsi que le prouve un arrêt du parlement de Grenoble accordant " l'annexe de la signature de la cour de Rome, en faveur de Jean Aymon, prêtre, curé de Chazeletla-Grave, notaire apostolique. "
Ajoutons qu'il n'aurait certainement pas déserté le giron de l'Eglise {53}catholique, s'il eût pu s'y faire une situation importante.
Ce qu'il y a de certain, c'est que, ayant eu, en 1696, certaines difficultés avec les Jésuites de Lyon, Aymon en prit occasion pour se retirer à Genève, puis à Berne, d'où il alla en Hollande, pays qui, se trouvant alors en guerre avec la France, était par cela même le rendez-vous des victimes de la politique intolérante de Louis XIV ; qu'il se fit bien accueillir partout, en se donnant comme un prélat initié aux secrets de la cour de Rome et, qu'à défaut de secrets à livrer, il se répandit en calomnies contre ses premiers protecteurs. Ainsi répondit-il à une lettre toute paternelle et des plus dignes du cardinal Le Camus, son évêque, en publiant un livre, dans lequel les faveurs qu'il avait obtenues de ses supérieurs ecclésiastiques, sont données comme une preuve de leurs prévarications, et ce livre, qui est muni d'une approbation des professeurs et des ministres de Berne, lui valut une pension des Etats Généraux de Hollande. Seulement, comme il n'était pas homme à se contenter de cela, Aymon, après avoir publié un second volume du même genre et s'être fait recevoir pasteur, voyant qu'il n'obtiendrait pas davantage, se retourna d'un autre côté. Bien que n'étant pas connu du garde de la Bibliothèque royale du Louvre, Nicolas Clément, qui était un fervent catholique, en même temps qu'un savant bibliophile, il lui écrivit, au mois de décembre 1705, pour lui offrir un précieux herbier - d'autres disent un livre, - qu'il avait acheté, et en échange duquel il ne demandait qu'un passeport pour aller à Paris, attendu qu'il avait, disait-il, en tête, de sérieux desseins pour le service du Roi. Ensuite de quoi, une correspondance s'étant établie entre Nicolas Clément et lui, il raconta à celui-ci que ne se trouvant pas bien " parmi les réfugiés, qui se détruisent les uns les autres et n'ont plus aucune religion, ni discipline, ni honnêteté, et, par leur esprit républicain et leur aversion pour tous ceux qui conservent quelque chose de l'humeur et maximes ou inclinations françaises, se rendent absolument insupportables, il avait de quoi faire là-dessus un manifeste rempli de preuves si authentiques et en si grand nombre... qu'il serait propre à détourner tous ceux qui ne sont pas aveuglés par leurs passions. " Bref, il finit par obtenir le passeport qu'il demandait et de plus, étant arrivé à Paris au mois d'avril 1706, une audience du ministre Pontchartrain, à qui il adressa ensuite des mémoires, dans lesquels il est question des complots, du " libertinage, des désordres de tout genre et des énormes attentats " des ministres protestants et de leurs ouailles réfugiés à l'étranger. Ayant obtenu de la Hollande une pension en calomniant le clergé catholique, il croyait obtenir mieux du gouvernement de Louis XIV en calomniant les protestants ; mais il fut déçu, car Pontchartrain, après avoir lu ses mémoires, le renvoya tout simplement au cardinal de Noailles, archevêque de Paris, qui, ne voyant qu'une brebis à ramener au bercail dans cet ancien curé devenu pasteur, le fit entrer au séminaire des Missions étrangères ; et c'est alors que ce maître chanteur conçut un projet dont la réalisation l'a rendu célèbre au même titre que le trop fameux Libri. Prévoyant qu'il lui faudrait bientôt retourner en Hollande et voulant expliquer d'une manière plausible son voyage à Paris, sous peine de perdre définitivement la pension qu'il tenait des Etats Généraux, il demanda l'autorisation de travailler à la Bibliothèque royale, et, l'ayant facilement obtenue, capta si bien la confiance du gardien de cet établissement, qu'il n'abandonna la place qu'après y avoir commis de nombreux larcins. Il emporta notamment les actes originaux du concile de Jérusalem, deux évangéliaires du viie ou du viiie siècle, et trois volumes de correspondance diplomatique ; tous manuscrits des plus précieux et dont il se fit un trophée en rentrant en Hollande, di{54}sant qu'il n'était allé à Paris que " dans le pieux dessein... d'y rechercher des pièces pour servir à la défense de la religion protestante ", et cela alors que le trop confiant Nicolas Clément se doutait si peu des vols dont il avait été victime, qu'il ne les constata qu'après avoir reçu de l'étranger une note ainsi conçue :
" On demande des nouvelles d'un nommé Aymon, qui dit avoir été aumônier de M. le cardinal Le Camus et protonotaire apostolique. Après avoir demeuré quelque temps à La Haye, où il était venu de Suisse et où il avait embrassé la religion P. R., il disparut et l'on sceut qu'il étoit à Paris. On sceut même qu'il y avoit porté un Alcoran arabe manuscrit, qu'il avoit dérobé à un libraire de La Haye. " Et cette note ajoutait : " Il est de retour depuis quelque temps, chargé, à ce qu'il dit, de dépouilles, on pourroit mieux dire de vols qu'il doit avoir faits à Paris, où il a passé cinq ou six mois assez publiquement ; ce qui surprend beaucoup, ayant été prêtre disant la messe, s'étant marié et l'étant encore à présent. Il dit qu'il a paru à Paris en qualité de prosélyte réformé devenu ministre. "
Or, la douleur du pauvre Clément fut d'autant plus grande alors, qu'il lui fallut constater, en même temps que la disparition de plusieurs manuscrits du plus grand prix, des lacérations criminelles. A la célèbre bible de Charles le Chauve, Aymon avait arraché 14 feuillets et 35 à un manuscrit grec des épîtres de saint Paul en lettres d'or ; feuillets dont une partie put être rachetée, treize ans plus tard, à un marchand de La Haye, à qui notre voleur l'avait vendue. Et quand les tribunaux hollandais ayant été saisis de l'affaire, par voie diplomatique, Aymon eut été mis en demeure de restituer ce qu'il avait volé, notamment les actes du concile de Jérusalem, l'effronté coquin ne craignit pas de soutenir que ce manuscrit ne venait pas de la Bibliothèque du roi, mais bien de celle de Saint-Germain-des-Prés, à laquelle il avait été dérobé par un religieux, protestant de cœur, qui le lui avait ensuite remis. Bien plus, il eut l'audace de publier, au mois de septembre 1707, un factum sous forme de lettre, dans lequel il dénonçait aux " gens de probité... les fourberies de plusieurs docteurs du papisme, avec quelques réformez pervertis ", qui voulaient le dépouiller de ses manuscrits et, bref, il sut si bien passionner le débat, en le portant sur le terrain confessionnel, qu'il eut bientôt des partisans, et qu'au lieu de s'assurer de la provenance des manuscrits qu'on lui réclamait, les magistrats de La Haye ne se préoccupèrent que de savoir s'il était allé à Paris pour se faire acheter son abjuration, comme on le prétendait avec raison, ou bien s'il ne s'était introduit dans le camp ennemi que pour y chercher des armes destinées à le combattre. Aussi ne fut-ce qu'après deux ans de négociations entre le gouvernemeut français et celui de la Hollande, qu'il fut contraint de restituer les actes du concile de Jérusalem, les autres manuscrits restant au voleur qui les vendit ou les publia dans la suite. Et encore ne perdit-il pas, pour cela, les bonnes grâces des Etats Généraux, qui lui rendirent, au contraire, sa pension. De telle sorte que notre homme, qui n'était pas seulement un audacieux coquin, mais encore un ignorant, ainsi que le prouve Prosper Marcband dans ses Mémoires critiques et littéraires, vécut tranquille et bien renté, jusqu'en 1720, qui est la date de sa mort, tandis que l'honnête Nicolas Clément, sa victime, " inconsolable d'avoir été la cause bien involontaire de ce vol épouvantable... traîna une vie languissante " et finit par mourir de chagrin, huit ans avant Aymon.
ICONOGRAPHIE. - Portrait in-4º, buste de 3/4, à D., avec cette légende : Joannes Aymon Graveta, Delphinas, ex dominis Genoliæ, theologus, jurisconsultus et mathematicus. Ætatis suæ anno xlix. Or, cette légende est une nouvelle preuve de l'effron{55}terie d'Aymon qui, bien que n'ayant rien de commun avec les Cravetta, vieille famille de Savoie, qui a fourni un fameux jurisconsulte prénommé Aymon, n'a pas craint de se donner comme lui appartenant.
BIBLIOGRAPHIE. - I. Métamorphoses de la religion romaine, qui ont donné lieu à plusieurs questions agitées dans une lettre envoyée au cardinal Le Camus. La Haye, Troyel, 1600, in-16.
II. Lettre du sieur Aymon, ci-devant prélat domestique du pape Innocent XI, à tous les archiprêtres, curés, vicaires et autres du clergé séculier, par laquelle, au sujet de quelques propositions qui lui ont été faites par M. l'abbé Bidal, ... sur la réunion des deux religions, il les exhorte à réformer les abus et les superstitions qu'on a introduites dans le service de leurs églises. La Haye, Kitto, s.d. in-8º.
III. Lettre du sieur Aymon, ministre du saint Evangile et docteur ès droits, à M.N., professeur en théologie, pour informer les gens de probité et les savants des insignes fourberies de plusieurs docteurs du papisme et du mouvement extraordinaire qu'ils se donnent maintenant avec quelques reformez pervertis, qui travaillent de concert à détruire par des impostures le sieur Aymon et à le priver par divers attentats de plusieurs manuscrits... La Haye, 1707, in-4º. Factum qui parut dans le même temps et le même format, à Genève, sous le titre de Lettre du sieur Aymon ci-devant Prélat, ... à M. N., professeur en théologie en l'Université réformée de N., écrite à l'occasion de plusieurs manuscrits importants qui ont été remis à l'auteur pour être publiez et qui contiennent des faits considérables touchant la Religion.
IV. Monumens authentiques de la religion des grecs et de la fausseté de plusieurs confessions de foi des chrétiens orientaux, produite contre les théologiens reformez par les prélats de France et les docteurs de Port-Royal, dans leur fameux ouvrage de la Perpétuité de la Foi... La Haye, chez Charles Delo, mdcc vii, in-4º. Ouvrage auquel l'abbé Renaudot répondit en publiant : Défense de la Perpétuité de la Foi contre les calomnies et faussetez... Paris, Gab, Martin, 1709, in-8º.
V* Tableau de la cour de Rome, dans lequel sont représentés au naturel sa politique et son gouvernement spirituel et temporel, par le sieur J. A. La Haye, 1707, in-12. Ouvrage dont il y a eu d'autres éditions en 1726 et 1727.
VI. Lettres, mémoires et négociations de M. le comte d'Estrades, pendant le cours de son ambassade en Hollande, depuis 1663 jusqu'à 1668. Bruxelles, H. Lejeune 1709, cinq vol. in-12. Réimprimé en 1743, à Londres (La Haye), en 9 vol. in-12.
VII. Tous les synodes nationaux des églises reformées de France, auxquels on a joint des mandements royaux et plusieurs lettres politiques. La Haye, 1710, deux volumes in-4º avec portrait. Ouvrage dont il y a une seconde édition (La Haye, Delo, 1736, deux vol. in-4º), qui renferme 50 lettres de Prospero de Santa Croce, dont les originaux furent volés à la Bibliothèque royale.
VIII. Maximes politiques du pape Paul III, au sujet du concile de Trente, tirées des Lettres anecdotes de Diégo Hurtado de Mendoza. La Haye, Scheurleer, 1716, in-12.
IX. Mémoires et négociations de la cour de France touchant la paix de Munster. Amsterdam, Chatelain 1718, in-folio.
X. Lettres anecdotes de Cyrille Lucar, patriarche de Constantinople. Amsterdam, Choporé et Chatelain, 1718, in-4º avec 3 pl. C'est l'ouvrage donné sous le nº IV, avec un autre titre et une fausse date.
XI. Nouvelle méthode pour l'étude du droit civil et canonique. S.l., 1719, in-12.
XII. Lettres anecdotes et mémoires historiques du nonce Visconti sur le Concile de Trente, mis au jour en italien et en français. Amsterdam, 1719, 2 vol. in-12. Ouvrage dont il y a une édition de 1739, 2 vol. in-12.
XIII. Mémoire de plusieurs Actes, Patentes, ... présenté à Son Eminence Mgr le Cardinal de Noailles, archevêque de Paris, par le sieur Aymon, cy-devant ministre réfugié à La Haye en Hollande et présentement à Paris, avec permission de Sa Majesté très chrétienne pour y faire profession de la R.C.A. et R. et pour s'y employer à tout ce qu'il pourra estre utile, soit pour la R. et pour l'Etat ; et, afin qu'on juge de sa personne et de ses talents sur des fondements solides, il produit les pièces suivantes... (cinq pièces). Mss. 20967, de la Bibl. Nationale, qui m'a eté obligeamment signalé par M. le pasteur Arnaud.
#Biogr. Dauph., i, 51. - France prot., éd. Bordier, i, 615. - Mém. hist. sur la bibl. du Roy. - Léopold Delisle. Mélanges de paléogr. et de bibliogr., 351. - Le Dauphiné, 6e année, art. de M. Maisonneuve. - Ed. Maignien, Dict. des anon., 1398. - Etc., etc.




Brun-Durand Dictionnaire Biographique de la Drôme 1901

Société de Sauvegarde des Monuments Anciens de la Drôme & Les amis du Vieux Marsanne

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