CASAUBON (Isaac)



CASAUBON (Isaac)), le grand érudit que les historiens dauphinois font naître à Bourdeaux (Drôme), naquit, en réalité, à Genève, de parents gascons, le 18 février 1559. Il n'appartient donc pas à notre département par sa naissance, non plus que par sa famille ; seulement, comme il y passa dix-sept des meilleures années de sa vie, c'est une raison suffisante, à notre avis, pour dire ici un mot de ce philosophe de mœurs et d'esprit tolérants, dont la figure honnête et quelque peu mélancolique repose de celle des sectaires violents et haineux de son temps.
Fils d'Arnaud Casaubon et de Mengine Rousseau, " de Montfort au diocèse de Dax ", il avait deux ans quand son père, qui mourut à Die, le 1er février 1586, fut appelé comme pasteur à Crest, qu'il habitait encore en 1583, bien qu'ayant été pendant un certain temps pasteur à Eurre (1579). Or, il resta auprès de son père, qui fut son premier maître, jusqu'à l'âge de 19 ans, et nous sommes d'ailleurs édifiés sur les sentiments de Casaubon à l'endroit des Crestois, par la complaisance avec laquelle il raconte, dans ses Ephémérides, qu'Arnaud, son père, se fit de nombreux amis à Crest, tandis qu'il ne dit mot des difficultés qu'y eut sa mère, devenue veuve. A tel point, que celles-ci ne nous sont connues que par un passage des actes du synode provincial de Nyons (1601), chargeant le colloque des Valentinois de " s'enquérir du différent de Mlle de Casabon avec l'église de Crest. " Et cependant, il y a toute raison de croire que ce sont ces difficultés qui décidèrent la mère de notre érudit à s'éloigner de cette ville. En tout cas, la veuve d'Arnaud Casaubon était établie à Bourdeaux dès 1603, date à laquelle son illustre fils lui acheta, dans ce bourg, une maison et un jardin, " pour l'oster d'appréhension et la remettre in re satis lauta, la plupart des moïens assez bons qui lui avoient esté laissez par son mari s'estant esvanouis par la fraude " ; et c'est également à Bourdeaux qu'elle mourut en 1607. Or, il n'en a pas fallu davantage pour dérouter complètement les historiens et les biographes, qui ont confondu le chef-lieu du département de la Gironde, un moment habité par Arnaud Casaubon et dont le nom s'écrivait autrefois Bourdeaux, avec le bourg de la vallée du Roubion, quelques-uns faisant de ce bourg le lieu de naissance de Casaubon, d'autres le berceau de la famille de sa mère ; tandis que la retraite de celle-ci à Bourdeaux s'explique tout naturellement par ce fait, que Sarah Casaubon, une des sœurs d'Isaac, épousa Pierre Chabannay ou Chabanne, habitant dudit Bourdeaux, qui y décéda le 3 octobre 1601, laissant trois fils : Pierre, Isaac et Charles.
C'est donc à Crest qu'Isaac Casaubon passa la plus grande partie de son enfance et même de sa jeunesse, y étudiant tantôt sous la direction de son père, tantôt seul, et toujours de telle façon qu'il parlait couramment le latin à neuf ans, bien qu'il ne sût pas décliner son nom à douze. Quant à sa biographie, nous n'avons pas à la faire ; mais nous ne pouvons nous empêcher de rappeler que celui qui était, au dire de Scaliger, le plus docte des calvi{151}nistes - hodie Casaubonnus nullus doctus Calvinistas, - et qui fut, suivant Saumaise, l'honneur de son siècle, a été des plus malmenés par les violents de son temps et surtout par ses coreligionnaires, qui ne lui pardonnaient pas d'avoir convenu que Du Perron l'emporta sur Du Plessis-Mornay, dans la fameuse conférence de Fontainebleau (4 mai 1603). L'auteur de l'Histoire de l'Edit de Nantes, Elie Benoît, est allé jusqu'à l'accuser d'hypocrisie, et l'on comprend, du reste, fort bien qu'un homme qui ne craignait pas d'avoir des relations d'amitié avec les papistes, qui tenait l'évêque d'Evreux pour un grand homme, bien qu'il ne partageât pas ses croyances, et qui poussa la faiblesse jusqu'à " prester une chemise blanche " au P. Cotton, un jour que le célèbre jésuite s'était " eschauffé " en prêchant devant la reine, si l'on en croit P. de l'Estoile, ne pouvait qu'être suspect à des hommes de parti ; d'autant plus que, de nos jours encore, il a été fort maltraité, pour cette raison, ainsi que le remarque avec tristesse M. Guillaume Guizot, et que bon nombre de ceux qui se sont avisés, depuis, de le revendiquer, à cause de sa gloire, l'auraient lapidé de son vivant, à cause de sa tolérance. Il n'y a qu'à jeter un coup d'œil sur certaines publications haineuses pour s'en convaincre.
Terminons en disant que ce pauvre Casaubon, qui dut se retirer en Angleterre, où il mourut en 1614, pour échapper aux obsessions, aux calomnies et aux attaques dont il était l'objet de ce côté-ci du détroit, ne semble pas avoir été plus heureux dans sa vie privée que dans sa vie publique ; car, tandis que Charles Nisard affirme qu'il n'eût jamais à souffrir de l'humeur de sa seconde femme, qui était une fille du célèbre imprimeur Henri Etienne et qui lui donna dix-sept enfants, les Ephémérides nous le montrent prenant, plus d'une fois, Dieu à témoin de ses chagrins domestiques - Tu scis mî Deus, mei doloris causam domesticam ! - et confessant, avec amertume, que les qualités de cette compagne de sa vie ne l'empêchaient pas d'être un grand embarras pour lui, dans ses études, - Domino fateor ita maritam esse meam ut quæ allevationi et auxilio esse debet sit interdum studiis nostris impedimento.
#Biogr. Dauph., i, 189. - Arch. de Livron, CC, 61. - Chorier, Hist. gén., ii, 65. - Guy Allard, Bibl., 57. - Brun-Durand, Les Amis de Jean Dragon, 134-139. - Ephemerides Casauboni, cum prœfatione et notis edente Johanne Russel. Oxonii, 1850, in-8º. - Journal de P. de l'Estoile, 14 décembre 1688. - Bull. hist. prot. franç., xiv, 185, 262. - Etc.




Brun-Durand Dictionnaire Biographique de la Drôme 1901

Société de Sauvegarde des Monuments Anciens de la Drôme & Les amis du Vieux Marsanne

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