DIE (La comtesse de)



DIE (La comtesse de)), troubadour dont le buste, œuvre de Mme Clovis Hugues, fut inauguré le 10 août 1888, sur une place de la ville de ce nom, est mentionnée pour la première fois en ces termes, dans une biographie anonyme, fort ancienne, des vieux troubadours : La Comtessa de Dia, si fo moiller d'en Guillem de Peitieus, bella dompna et bona et enamoret se d'en Raembaut d'Aurenga et fetz de lui mains bons vers. " La comtesse de Die, belle et bonne dame, qui épousa Guillaume de Poitiers, s'étant éprise de Rambaud d'Orange, fit pour lui maints bons vers. " Et Raynouard, qui a recueilli ses œuvres, - une tenson et quatre chansons, - estime que l'une de celles-ci est un chef-d'œuvre de l'élégie amoureuse.
Maintenant, qui était cette comtesse de Die ? C'est ce qu'il est bien difficile de dire, malgré toutes les recherches faites à ce sujet, lesquelles permettent seulement d'avancer qu'il y eut deux comtesses de Die, troubadours : l'amante de Rambaud d'Orange, au xiie siècle, et une autre, qui devait vivre au moins cent ans plus tard, puisque l'italien François de Barberino, qui mourut en 1348, dit avoir connu un chevalier, à qui cette comtesse de Die adressa un jour une verte réprimande, parce qu'il était trop entreprenant et trop occupé de sa toilette ; ce dont ne se serait certes pas plainte l'amante de Rambaud d'Orange, dont les vers sont au contraire des plus lascifs, et ce qui profita, du reste, à ce chevalier, à ce que nous apprend Barberino : Quem considerans miles ab indè in antea multum correctus est et vidi eum postea mirabiliter ordinatum.
Pour ce qui regarde la première de ces deux comtesses de Die, Chorier prétend qu'elle s'appelait Alix et était l'unique fille d'Isoard II, dernier comte de Die, tandis qu'il est établi que cette fille, sœur d'un Pierre-Isoard, qui mourut vraisemblablement avant son père, avait nom Roais et fut femme d'Hugues d'Aix, personnage fort différent de Guillaume de Poitiers. D'autres l'appellent Véronique et la confondent, par suite, avec une légendaire comtesse de Marsanne, qui fonda, étant devenue veuve, le monastère de Bonlieu, suivant une charte du 27 avril 1239 ; mais indépendamment de ce que Marsanne est en plein Valentinois et non dans le Diois, et de ce que cette charte fait de la comtesse de Marsanne la mère et non la femme de Guillaume de Poitiers, le document sur lequel repose tout cela est apocryphe. En admettant que notre comtesse de Die fût la mère de Guillaume de Poitiers, était-elle Philippe, femme d'Aymar II, comte de Valentinois, comme on l'a encore avancé ? Mais Philippe de Fayno, comtesse de Valentinois, était fille de Philippe-Jourdain, seigneur de Fay et de Mézenc, et de Mételine de Clérieu, et n'avait conséquemment rien de commun avec les comtes de Diois. Quant à voir notre troubadour dans Isoarde, sœur de Roais et fille d'Isoard, dernier comte de Die, suivant M. Jules Chevalier, sa petite-fille seulement, suivant M. Joseph Roman, cela se peut d'autant moins qu'Isoarde épousa Raymond d'Agoult et non un Poitiers. Aussi, l'opinion la plus acceptée aujourd'hui, {254}est-elle que l'amante de Rambaud d'Orange, la Sapho provençale, comme on l'appelle parfois, était la femme authentiquement connue de Guillaume de Poitiers, comte de Valentinois, décédé en 1189, c'est-à-dire Béatrix, fille de Guigues, comte d'Albon, le premier qui ait porté le surnom de Dauphin et, par cela même, la sœur de cette Marchise d'Albon, qui était, au dire du chanoine Guillaume, de Grenoble, une femme qu'aucune difficulté n'effrayait, également remarquable par sa réserve et par sa beauté et qui excellait dans l'art de bien parler, verborum elegantiâ vehementer idonea. Seulement, pourquoi la fille du comte d'Albon aurait-elle été appelée comtesse de Die ?
Cherchant, à son tour, une solution, M.le chanoine Jules Chevalier n'est pas éloigné d'admettre qu'il n'y a eu qu'une comtesse de Die, troubadour, ce qui est l'opinion de M. A. Thomas, auteur d'un remarquable travail sur Fr. de Barberino. Et comme il faut pour cela rapprocher les dates, il estime d'abord que ce n'est pas Rambaud III, comte d'Orange, vivant en 1150, mais Rambaud IV, son neveu et successeur, de qui l'on a des actes en date de 1218, qui fut l'amant de la comtesse de Die ; puis que le mari de cette comtesse était Guillaume de Poitiers, fils du comte Aymar II, de Valentinois, décédé vers 1225, c'est-à-dire cinq ans avant son père, et non le comte Guillaume Ier, son aïeul paternel, qui mourut en 1189. Après quoi, il suppose que la veuve de ce deuxième Guillaume de Poitiers, qui avait nom Flotte de Royans et qui était encore pleine de vigueur et tout occupée des intérêts de son fils, en 1257 s'intitula comtesse de Die, pour affirmer les droits qu'elle avait sur une partie du Diois. Mais cette supposition, qui pourrait, tout aussi bien, être faite à propos de Béatrix d'Albon, soulève à son tour de telles objections que son auteur lui-même convient que la question n'est pas tranchée. Faisons comme lui, mais non sans avoir insisté sur ce point, que même après avoir rapproché un peu les dates, à l'aide de certaines hypothèses, comme le fait M. Jules Chevalier, il y a de très grandes raisons de distinguer l'amante de Rambaud d'Orange d'une autre comtesse de Die, de qui il est plusieurs fois question dans les Documenti d'amore de Fr. de Barberino, par qui nous savons qu'étant allée à Toulouse, elle échangea des vers avec un poète de cette ville, nommé Jaufré.
Quant à ce que Jean de Nostredame et, après lui, l'Histoire littéraire de la France racontent de deux comtesses de Die, dames de la cour d'amour de Signe et de Pierrefeu, dont l'une, qui était la mère, aima Rambaud d'Orange, et dont l'autre, qui était la fille, se fit religieuse à Tarascon, où elle mourut de chagrin d'avoir vu mourir le troubadour Guillaume Adhémar, qu'elle aimait, c'est un roman élaboré par l'écrivain provençal, qui est vraisemblablement aussi l'inventeur des fameuses cours d'amour.
BIO-BIBLIOGRAPHIE. - I. Santy, La Comtesse de Die. Brives, 1892, un vol. in-8º. - II. Jules Chevalier, La Comtesse de Die. Valence, Jules Céas, 1893, in-8º de 20 pp. - III. La Comtesse de Die, discours par M. Maurice Faure, député de la Drôme. Brives, 1892, in-8º de 11 pp. - IV. A la Comtesso de Dio, poésie de M. Ernest Chalamel, traduite par M. Santy. Brives, 1892, in-8º. - V. Ballade à la comtesse de Die, poésie de M. Champavier, musique de Henry Eymieu, dessin de Ch. Clerice. Paris, André, s.d., in-4º de 7 pp.
#Biogr. Dauph., i, 355. - Hist. litt. des troubadours, i, 170. - Chabanneau. Biogr. des troub., dans Hist. gén. du Languedoc, éd. Privat, x, 285 et 362. - A. Thomas, Francesco de Barberino et la litt. prov. en Italie au moyen âge, dans la 35e liv. de la Bibl. des écoles franç. d'Athènes et de Rome. - Chorier, Hist. gén., ii. - O. Schultz, Die provenzalischen Dichterinnen, 8. - J. Chevalier, Essai hist. sur Die, i, 476. - J. Roman, Les deux derniers comtes de Die, dans le Bull. d'archéol., xx, 370. - J. de Nostredame, Hist. des poètes prov., ch. IX. - Hist. litt. de la France, xv, 446.




Brun-Durand Dictionnaire Biographique de la Drôme 1901

Société de Sauvegarde des Monuments Anciens de la Drôme & Les amis du Vieux Marsanne

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