FÉLIX, FORTUNAT et ACHILLÉE (Saints)



FÉLIX, FORTUNAT et ACHILLÉE (Saints)), martyrs de la fin du iie siècle, que l'église de Valence honore comme ses fondateurs, étaient : le premier, prêtre ; les autres, diacres, et tous les trois disciples de saint Irénée, qui les envoya de Lyon, dans notre contrée, pour l'évangéliser. Or, arrivés à Valence, ils s'établirent, dit-on, aux portes de cette ville, dans une pauvre cabane d'où ils rayonnèrent à l'entour, sur les deux rives du Rhône, prêchant un peu partout le christianisme et partout faisant de nombreux prosélytes, jusqu'à ce qu'un préfet, Cornélius, qui gouvernait le pays au nom de l'empereur Caracalla, instruit de leurs prédications, les fit arrêter, mettre en prison et finalement décapiter, parce qu'ils refusaient d'abjurer leur foi. L'authenticité des actes de leur martyre, qui se trouvent dans les Bollandistes (éd. Palmé, III, 99-101), est fort discutée, il est vrai ; car, tandis que Surius et Papebrock, pour ne parler que de ceux-là, estiment que ces actes émanent réellement d'un témoin oculaire et auriculaire des faits qui y sont racontés, d'autres auteurs, tels que Tillemont, Baillet et D. Rivet, soutiennent que ce document n'est pas du iie, mais bien du ve ou du vie siècle et, conséquemment, apocryphe. Il ne nous appartient pas de discuter ici les différentes opinions émises à ce sujet, de nos jours encore ; mais il est bon de constater que l'un des adversaires les plus résolus de l'authenticité des actes des SS. Félix, Fortunat et Achillée, M. l'abbé Duchesne, reconnaît que ce document, " tout légendaire qu'il puisse être, n'en est pas moins d'une haute antiquité... et suppose une croyance antérieure ", ce qui équivaut à dire qu'antérieurement au vie et peut-être même au ve siècle, il était de tradition que nos trois martyrs avaient été les introducteurs du christianisme à {325}Valence. Or, cette tradition, loin de s'affaiblir, se fortifia si bien, dans la suite, qu'une église de Saint-Félix s'éleva bientôt à l'endroit donné comme ayant été le théâtre de leur martyre, et qu'auprès de cette église il y avait, dès le xie siècle, une abbaye de chanoines réguliers, qui fut convertie en un prieuré de la congrégation de Saint-Ruf, le 28 octobre 1363, le titre d'abbé de Saint-Félix étant alors devenu celui du troisième dignitaire du chapitre cathédral.
Outre cela, le culte de ces apôtres du christianisme dans notre contrée fut tellement populaire à Valence, pendant de longs siècles, que, dès le xve, il était d'" ancienne et louable coustume ", dans cette ville, de faire jouer, " de vingt-cinq en vingt-cinq ans ou aultre temps limité... l'istoyre des glorieux saincts martyrs Félix, Fortunat et Achillée. " Cette représentation, qui ne durait pas moins de trois jours, avait lieu sur la place des Clercs, où l'on dressait pour la circonstance un théâtre, sur lequel, - trait de mœurs s'il en fut, - le clergé apportait la châsse contenant les reliques des trois martyrs. Les acteurs étaient généralement des bourgeois du pays et l'" histoire " ou pièce qui se jouait et dont on conservait le manuscrit à l'hôtel de ville, fut d'abord l'œuvre d'auteurs inconnus ; car ce n'est qu'en 1469 que la municipalité valentinoise trouvant cette première pièce par trop rudimentaire, la fit refaire par un certain Jean de Mont, qui y travailla quatre mois et reçut 9 florins pour sa peine, ce qui n'empêcha pas que, trente ans après, il était encore question de faire mettre l'histoire des Trois Martyrs, - Historia Trium Martyrum, - en meilleur style, - in melius ydioma, - et que ce travail ayant été confié, le 3 juin 1500, à un sieur Aymar du Chesne, c'est en réalité Claude Chivalet, de Vienne, un des meilleurs fatistes ou poètes du temps, qui le fit. Les consuls ordonnèrent ensuite de faire une boîte ou cassette spéciale pour la conservation du manuscrit de cette troisième histoire, qui est, en somme, celle qui se joua d'une telle manière, pour les fêtes de la Pentecôte, en 1526, que la ville de Valence, qui ne dépensait d'ordinaire que 50 florins pour cette représentation, en dépensa 753 cette année-là, et ce, probablement, non compris les recettes qui durent être faites alors ; car il est bon de dire que, pour cette représentation, des estrades furent dressées autour de la place des Clercs, qu'il y eut même des " chambres de jeu " ou loges, louées, suivant l'étage, à raison de 15 ou de 12 sous le pied carré, et que ces places réservées furent tellement prises, que les officiers épiscopaux en ayant demandé six, on ne put leur en donner que quatre " en payant comme dessus. "
En un mot, cette représentation de l'an 1526 fut un événement du temps, et, croyons-nous, la seule du siècle, les disputes confessionnelles et les guerres civiles qui suivirent ayant d'autant plus fait oublier semblable tradition, que les reliques des SS. Félix, Fortunat et Achillée furent brûlées par les huguenots en 1562. Peut-être même en firent-ils autant de l'" histoire " écrite par Claude Chivalet. En tout cas, les magistrats municipaux de Valence ayant décidé en 1605 de revenir aux anciennes coutumes, en faisant représenter, comme autrefois, " sur le téaltre, la mort et histoire tragiques des bienheureux martyrs... qui par effusion de leur sang gravarent dans les murailles de Valence ou plus tost dans les cœurs d'icelle ville, l'évangile de J.-C. ", ce n'est point la pièce de Chivalet qui fut alors jouée, mais celle d'un sieur Barberon, d'Annonay, accommodée par le principal des écoles de Valence, Pierre Moysson (V. ce nom), a qui l'on alloua 45 livres, sous condition de remettre " dans la maison consulaire le livre où est la poysie de ladite histoire, tous tableaux, peinctures et ornements qui ont servy à ladicte représentation " ; ce qu'il fit fort exactement.
#Surius, Vitœ sanct., 823. - Tillemont, Mém., {326}ii, 97. - Baillet, Vie des Saints, iii, 719. - D. Rivet, Hist. litt., iii, 167. - Ch.-F. Bellet, Orig. égl. de France, 2e éd., 174. - Duchesne, 48, 56, 210. - Arch. Valence, BB, 1, 2, 3 et 4 ; CC, 31. - Etc.




Brun-Durand Dictionnaire Biographique de la Drôme 1901

Société de Sauvegarde des Monuments Anciens de la Drôme & Les amis du Vieux Marsanne

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