FRÈRE (Claude)



FRÈRE (Claude)), un des plus importants personnages du Dauphiné dans la première moitié du xviie siècle, était de Valence et fils d'un Giraud Frère, qui faisait partie du conseil de cette ville en 1560, en même temps que le neveu d'un Louis Frère, marchand de Lyon, que l'on trouve établi à Valence, place Saint-Jean, dès le 13 juillet 1574, date à laquelle il offrit à la municipalité de cette ville de lui prêter 2,000 livres, pour la " reparation et fabrique de l'église Saint-Jehan et pour ung puydz à l'hospital dudict Saint-Jehan. " Qui plus est, devenu orphelin de bonne heure, il eut pour tuteur cet oncle, qui le fit élever à Paris et lui laissa ensuite tous ses biens, comprenant, avec sa maison de la place Saint-Jean, quantité de terres dans la banlieue. Or, étant, tout à la fois, très habile et fort ambitieux, Claude Frère, après avoir étudié le droit et pris le grade de docteur agrégé en l'université de Valence, profita {341}de ce que cette université était alors en désarroi pour se faire attribuer une de ses chaires, au mois de janvier 1592, ce qui n'était, au fond, qu'un moyen pour lui de s'affranchir de l'impôt qui grevait ses biens, les professeurs de l'Université jouissant des privilèges des nobles. Voyant cela, les consuls de Valence protestèrent d'autant plus énergiquement contre cette attribution de chaire, qu'il en devait résulter une surcharge pour les autres citoyens et qu'aux termes des règlements universitaires, toutes chaires devaient être mises au concours ; mais Frère, qui n'était pas homme à se déconcerter pour si peu, offrit alors d'occuper sa chaire sans gages, manœuvre fort adroite, la somme d'impôts dont il cherchait à s'affranchir ainsi dépassant et de beaucoup les gages, d'ailleurs fort mal payés, qu'il offrait d'abandonner. Aussi les consuls persistèrent-ils dans leur opposition, et Frère s'étant alors déclaré prêt à disputer sa chaire, conformément aux règlements, ils firent le possible pour lui susciter des concurrents sérieux. Seulement, on n'en trouva pas et, finalement, après dix mois de tiraillements et d'oppositions vaines, Claude Frère fut régulièrement mis en possession de la quatrième chaire, dite " civile doctorale ", le 13 novembre 1592.
Professeur, Frère enseigna-t-il réellement le droit, comme le disent ses biographes ? Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il n'y avait presque pas d'étudiants et, par cela même, de cours, à l'université de Valence, dans les dernières années du xvie siècle, et que, moins de quatre ans après sa nomination, l'héritier du marchand de la place Saint-Jean achetait une charge d'avocat du roi au Grand-Conseil, qu'il échangea, bientôt après, contre une de conseiller à ce même Grand-Conseil. Devenu maître des requêtes de l'Hôtel du roi, en 1602, il resta cependant quand même à Valence, où il n'eut pas moins de six enfants en neufans (1599-1608), et qu'il habitait probablement encore quand les Etats du Dauphiné s'assemblèrent dans cette ville, au mois de février 1610, sous l'œil de Lesdiguières. Car, c'est dans ce tempslà, et vraisemblablement en cette circonstance, qu'il se lia avec le futur connétable, qui l'aida puissamment à parachever sa fortune et pour qui il devait être " celuy qui fut parmy ses amis en sa plus grande confiance et en la plus haute estime de sagesse ", suivant les expressions de Videl.
Ayant bien vite compris le parti que l'on pouvait tirer d'un homme de la valeur de Frère, Lesdiguières le fit employer, en effet, de manières très différentes : en 1611, " pour bailler à prix fait et faire travailler aux réparations nécessaires du pont d'Avignon " ; l'an suivant, dans les négociations qu'il eut avec le co-légat Filonardi, pour la solution de certains différends touchant les protestants français possessionnés dans le Comtat-Venaissin ; deux ans plus tard, en qualité de membre de la commission chargée d'assurer l'exécution de l'édit de Nantes en Dauphiné. Enfin, quand le parti huguenot, poussé par Condé, eut résolu de tenir la fameuse assemblée politique de Grenoble (juillet 1615), Frère ayant été nommé " commissaire de S. M. pour avoir l'œil à ce qu'il ne fut fait en cette assemblée aucune délibération contre le service du roy ", concurremment avec Charles de Créqui, lieutenant général au gouvernement de Dauphiné et gendre de Lesdiguières, celuici, qui avait la haute main sur tout ce qui se passait en Dauphiné, estima dès le premier jour qu'il suffisait de notre Valentinois. Et, de fait, ce dernier remplit si bien une mission tout à la fois délicate et difficile, que la première présidence du parlement de Grenoble étant devenue vacante quelques mois après (3 mai 1616), par le fait de la mort d'Artus Prunier de Saint-André, on ne crut pouvoir moins faire que de lui donner cette importante charge, en récompense de ses services.
Nommé le 25 juillet 1616, il fut mis en possession le 2 septembre sui{342}vant. Devenu ainsi le premier magistrat de la province, Claude Frère n'en fut que davantage le conseiller et l'ami de Lesdiguières qui, lui ayant fait part, quelque temps après, de l'intention qu'il avait d'épouser sa maîtresse Marie Vignon, fit assez de cas de son avis pour ne pas contracter ce mariage en Savoie, ainsi qu'il se le proposait, et, qui plus est, l'en récompensa en lui faisant avoir du roi, le 11 mars 1618, une pension de 3,600 livres " pour faire utilement et dignement la charge de premier président ", et, dix-sept jours après des lettres de noblesse.
Trois ans plus tard, le futur connétable, cédant à ses sollicitations, signait à Valence, dans " le logis de Frère ", l'acte par lequel il s'engagea à se faire catholique ; et c'est également dans ce temps-là qu'il chargea notre président d'administrer le Dauphiné en son absence, de concert avec le gouverneur de Grenoble, ce qui peut donner la mesure de la confiance qu'il avait en lui et marque le degré d'importance qu'avait alors atteint l'ancien professeur en l'université de Valence. Or, tout en travaillant à sa fortune politique, Claude Frère ne négligea pas d'augmenter ses biens ; car, ayant prêté 4,800 livres, en 1606, à Gaspard de Beaumont, seigneur de Barbières et de Pellafol, il le contraignit, dix ans après, à lui vendre ces deux seigneuries moyennant 13,166 livres, c'est-à-dire à très bas prix ; et un autre membre de la même famille, se trouvant à son tour dans l'embarras, lui vendit, en 1617, les importantes terres et seigneuries de Beaumont, Montfort, Crolles et le Touvet, pour le prix de 48,000 livres, qui était également fort inférieur à leur valeur réelle. Ajoutons que, même après la mort de son protecteur Lesdiguières, il trouva moyen de faire porter à 6,000 livres la pension que lui faisait le roi (13 février 1627), ce qui est un nouveau témoignage de sa peu scrupuleuse habileté. Comme aussi sa grande fortune explique-t-elle, mieux encore que ses services, les hyperboliques éloges qui lui ont été décernés par la plupart des écrivains dauphinois de son temps, étant donné avec cela que les médailles qu'il fit frapper à son effigie prouvent qu'il eut grand soin de sa renommée.
Claude Frère mourut en 1641, ayant eu de son mariage avec Madeleine Plovier, fille de Bertrand, premier président de la Chambre des comptes de Dauphiné, au moins huit enfants, dont six naquirent à Valence : 1º Madeleine, née le 14 mai 1599, qui épousa Charles d'Hostun-Claveyson ; 2º Pierre, né le 29 mars 1601 et décédé le 3 février 1626, conseiller au Grand-Conseil, qui fut l'ami de Gassendi et s'occupait de mathématiques et d'astronomie, à ce que nous apprend une lettre en date du 15 février 1625, par laquelle il prie Willebrod Snélius de faire construire en Hollande, " un quart de cercle de cuivre dont le rayon soit au moins de deux pieds, mesure de Paris ", parce qu'il ne pouvait sans cela observer les astres ; 3º Claude, né le 15 mars 1602 ; 4º Alexandre, né le 5 février 1603 ; 5º Louise, née le 15 octobre 1604 ; 6º Alexandre, né le 16 juillet 1607 ; 7º Louis, né le 4 novembre 1608, qui succéda à son père dans la première présidence du Parlement, fit partie, l'année suivante, de la commission extraordinaire qui jugea Cinq-Mars et de Thou, et mourut sans enfants, le 10 novembre 1643 ; 8º enfin, Laurence, qui épousa Antoine du Faure de la Rivière, conseiller au Parlement.
ICONOGRAPHIE. - I. Médaille de bronze de 50 mill. D'un côté, buste de profil à G., tête nue, en costume de président avec fraise et autour : claudivs frere pr. præses sen. gra. 1623. Au revers, un dextrochère arrosant, avec une aiguière, une plante de lis, et, dans le fond, une église au bas d'un coteau. Légende : frvor dvm foveo. Signé : Ollier. - II. Méd. br. de 40 mill. D'un côté, buste de profil à G., mais avec une barbe plus courte et sans fraise. Au revers, une main sortant d'un nuage arrose une plante de lis avec une aiguière, et, dans le fond, une tour ruinée. Même légende que ci-dessus mais signée : Ollier, f., 1624. - III. Méd. br. de 44 mill. Même type, même légende et même date que {343}ci-dessus. Au revers, buste de femme, de profil à D., avec fraise, chaîne et bijoux dans les cheveux ; légende : magdalena. plovier. conivx. - IV. La même sans revers.
#Biogr. Dauph., i, 401. - Arch de Valence, BB, 9, 12 ; GG, i. - Boniel de Catilhon, Vie d'Expilly, 68, 72. - Videl, Hist. de Lesdiguières, i, 506, 535 ; ii, 35, 148. - Arch. de l'Isère, B, 2929. - Bull. d'archéol., xv, 342. - Bouchitté, Nég. pour la conf. de Loudun, 24. - P. Bourgerel, Vie de Gassendi, 26. - Etc.




Brun-Durand Dictionnaire Biographique de la Drôme 1901

Société de Sauvegarde des Monuments Anciens de la Drôme & Les amis du Vieux Marsanne

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