LALLY (Thomas-Arthur de)



LALLY (Thomas-Arthur de)), comte de Tollendal, officier général dont le procès et la fin tragique furent un des événements retentissants du xviiie siècle, naquit à Romans le 13 janvier 1702, de Gérard de Lally, capitaine-major du régiment irlandais de Dillon, et de Jeanne-Marie de Bressac, veuve de Philippe du Vivier. Devenu capitaine dans ce même régiment, le 15 février 1728, et aide-major, le 26 janvier 1732, il se trouva au siège de Kehl, l'année suivante, et, en 1734, à l'attaque des lignes d'Etlingen, où son père, alors brigadier des armées du roi, fut blessé et eût été fait prisonnier sans lui. Il servit ensuite au siège de Philipsbourg (1734) et se battit à Klausen (1735) ; puis, comme il était ardent jacobite, il se rendit en Angleterre pour y établir des correspondances avec les principaux partisans de Jacques II, et, à son retour, fut chargé d'une mission en Russie. Il s'agissait d'amener secrètement cette puissance à rompre avec l'Angleterre, son alliée, pour s'unir avec la France, et si les négociations qu'il entama dans ce but furent bientôt interrompues, cela tint aux indécisions du cabinet de Versailles ; mais il ne rapporta pas moins de ce pays, alors si peu connu, de précieux renseignements, tant sur sa statistique intérieure que sur ses relations diplomatiques et commerciales au dehors. Promu major le 24 nov. 1741, il devint bientôt aide-major de l'armée du maréchal de Noailles, en Flandre, et, comme tel, se trouva à la journée de Dettingen (19 juin 1743), où il sauva l'armée française d'une complète déroute par sa présence d'esprit ; puis, aux sièges de Menin, d'Ypres et de Furnes ; après quoi, s'étant rendu à l'armée d'Alsace, il assista à l'affaire d'Haguenau.
Chargé plus tard de lever un régiment d'infanterie irlandaise (1er oct. 1744), Lally le commandait à Fontenoy, où il fut blessé et se conduisit de telle sorte que le roi le créa brigadier sur le champ de bataille (11 mai 1745). Huit mois après, le cabinet de Versailles s'étant enfin décidé, sur ses instances, à prêter à Jacques II, dont le petit-fils avait abordé en Ecosse, le concours d'une armée de {63}10.000 hommes, commandée par le maréchal de Richelieu, il fut désigné pour en être le maréchal général des logis. Seulement, tandis que, découragé par les premiers obstacles qu'il rencontra, Richelieu demanda bientôt a être rappelé, Lally, qui avait pris les devants avec quelques soldats irlandais, rejoignit l'héritier des Stuarts, dont il fut l'aide de camp tant que la fortune lui permit de combattre, et, quand ce ne fut plus possible, il se cacha à Londres, où sa tête était mise à prix, et de là alla en Espagne, puis en Flandre, d'où il revint en France après de nombreuses aventures. Réintégré dans l'armée française, il servit avec distinction au siège d'Anvers, à la bataille de Lawfeld, surtout au siège de Berg-op-Zoom, où il se couvrit de gloire, et, fait prisonnier dans une rencontre, mais échangé presque aussitôt, il devint alors le principal lieutenant du maréchal de Saxe, qui lui fit partager, avec le marquis de Cremilles, la charge de maréchal général des logis au siège de Maëstricht, où il fut créé maréchal de camp, le jour même de la prise de cette place (10 mai 1749).
Sept ans après (19 novembre 1756), ce brillant officier, qui avait depuis longtemps dressé les plans d'une expédition dans l'Inde, pour y relever le prestige de notre puissance, ruinée par les Anglais, était élevé au grade de lieutenant général, promu grand-croix de l'ordre de Saint-Louis et nommé commandant en chef de toutes les possessions françaises dans cette contrée, en même temps que syndic de la Compagnie des Indes Orientales. " Toute ma politique est dans ces cinq mots : plus d'Anglais dans la Péninsule ", écrivait-il un jour, et il était homme à exécuter ce programme, pour peu qu'on lui en fournît les moyens. Malheureusement, on ne les lui fournit guère ; car, après lui avoir promis six bataillons, autant de vaisseaux et autant de millions pour son expédition, le gouvernement ne lui en donna que quatre et, pour une cause ou pour une autre, il y eut tant de retards dans l'embarquement que lorsqu'il débarqua dans la péninsule indoustanique, le 28 avril 1758, les renforts expédiés d'Angleterre y étaient arrivés depuis six semaines, - ce qui n'empêcha pas Lally de remporter tout d'abord d'invraisemblables succès, au point que les Anglais tremblèrent un moment pour leurs possessions. Seulement, il lui fallut revenir sur ses pas au bout de quelque temps, à cause des échecs éprouvés par notre escadre ; puis, la division s'étant mise dans son armée, il y eut défection de la cavalerie indigène et, finalement, après avoir été peu à peu contraint de se replier sur Pondichéry, il y fut bloqué le 18 mars 1760, par une armée de 15,000 hommes et dix-sept vaisseaux, alors qu'il ne disposait plus que de 700 hommes fort mal ravitaillés. Malgré cela, l'héroïque soldat ne résista pas moins encore pendant dix mois ; car ce n'est qu'après avoir distribué sa dernière poignée de riz à ses soldats exténués, qu'il remit la place à l'amiral Coote, le 13 avril 1761.
Prisonnier des Anglais, Lally-Tollendal fut envoyé à Londres ; mais ayant appris, à son arrivée dans cette ville, que l'opinion publique était absolument déchaînée contre lui dans sa patrie, parce qu'on le rendait seul responsable d'une défaite qui compromettait des intérêts considérables, en même temps qu'elle irritait l'amourpropre national, il demanda et obtint aussitôt l'autorisation de se rendre en France pour se justifier, et, l'ayant obtenue, il s'éleva contre ses accusateurs avec la violence et la fougue qui formaient le fond de son caractère, demandant qu'on fît justice de leurs calomnies. Pendant un an, on le berça de vaines promesses et, comme il dénonçait, en même temps, les dilapidations monstrueuses et les concussions de toute sorte dont il avait été le témoin dans l'Inde, le ministère, qui était au moins coupable de faiblesse et d'impéritie, sentant qu'il faudrait le sacrifier au ressentiment de ses ennemis, s'il ne s'éloignait pas, le fit avertir {64}secrètement ; mais Lally, au lieu de s'enfuir, écrivit fièrement au duc de Choiseul : " J'ai apporté ici ma tête et mon innocence, j'y attendrai vos ordres. " Il se constitua volontairement prisonnier à la Bastille, le 3 novembre 1762, et y resta dix-neuf mois sans être interrogé, et, quand l'instruction, qui ne dura pas moins de deux ans, eut été commencée, on vit ceux qu'il avait accusés devenir ses accusateurs et même déposer comme témoins ; puis, on lui refusa tout conseil, et, sur le point d'être jugé, on ne lui accorda pas huit jours pour préparer sa défense. Enfin, le 6 mai 1766, un arrêt du parlement de Paris termina le procès commencé, le 6 juillet 1763, par le prévôt de Paris, en déclarant : " Thomas-Arthur de Lally dûment atteint et convaincu d'avoir trahi les intérêts du Roi, de son Etat et de la Compagnie des Indes, d'abus d'autorité, vexations et exactions envers les sujets du Roi et étrangers établis à Pondichéry ; pour réparation de quoi, il était privé de tous ses états, honneurs et dignités, et condamné à avoir la tête tranchée par l'exécuteur de la Haute-Justice ", avec confiscation de ses biens. " Voilà donc la récompense de cinquante-cinq ans de services ! " s'écria Lally, en apprenant sa condamnation ; et lorsqu'on lui lut son arrêt, il protesta d'une voix tonnante, se répandant en invectives contre ses juges ; puis il tenta d'échapper à l'échafaud en s'enfonçant un compas dans le cœur, mais n'y arriva pas et fut décapité en place de Grève, le 16 mai, à cinq heures du soir, ayant un bâillon, parce qu'on craignait qu'il ne renouvelât sur l'échafaud, avec encore plus de fureur, les propos peu mesurés qu'il tenait " soit contre le Roi, soit contre le gouvernement et ses juges ", dit un témoin oculaire.
Or, ainsi qu'il arrive souvent en pareil cas, à peine le malheureux Lally eut-il subi sa peine, que ceux qui l'avaient envoyé à l'échafaud se le reprochèrent les uns aux autres. " Ce sera vous qui en répondrez et non pas moi ", disait Louis XV au chancelier Maupeou ; et le public lui-même qui craignait que Lally ne fût gracié ou qu'on ne commuât sa peine, si l'on en croit Mme du Deffand, eut d'autres sentiments pour lui après son supplice. Mais ce n'est cependant que sept ans plus tard qu'on osa soutenir publiquement qu'il était innocent. Voltaire fut le premier à le démontrer dans une brochure intitulée : Fragments sur quelques révolutions de l'Inde et sur la mort du comte de Lally. (S.n.d.l., 1773, in-8º de iv + 162 pp.) ; et c'est ensuite un fils que Lally avait eu, en 1751, d'une demoiselle Crafton, et qu'il ne reconnut, semble-t-il, qu'au moment de monter sur l'échafaud, qui prit à tâche de poursuivre la réhabilitation de la mémoire de son père. Il fit si bien qu'il obtint, en 1778, du Conseil d'Etat, la cassation de l'arrêt du 6 mai 1766, et que le parlement de Rouen, qui fut alors saisi de l'affaire, ayant, à son tour, déclaré Lally coupable (23 août 1783), il fit encore casser cet arrêt et renvoyer l'affaire devant le parlement de Dijon, plaidant partout luimême, et d'une manière si remarquable, que ses plaidoyers sont restés comme des chefs-d'œuvre d'éloquence, en même temps que des monuments de piété filiale. Enfin, ce n'est qu'après douze ans d'efforts que la mémoire de l'ancien gouverneur de l'Inde fut réhabilitée, ce qui ne veut pas dire que Lally fût à l'abri de tout reproche ; car, Voltaire lui-même confesse qu'il commit de grandes fautes comme gouverneur et comme militaire ; seulement, il ne fit jamais rien qui pût entacher son honneur, et c'est pour cela que le même Voltaire disait que tout le monde avait le droit de mettre la main sur lui, excepté le bourreau.
Les pièces originales du procès de Lally-Tollendal ne forment pas moins de 131 numéros (1359 à 1490) de la série X 26, à la Bibliothèque nationale. Quant aux imprimés relatifs à ce procès, ils sont trop nombreux pour que nous en donnions la liste ; mais, indé{65}pendamment des Mémoires plaidoyers du fils, qui, après avoir été publiés à Paris, Rouen et Dijon, de 1779 à 1783, ont été reproduits dans différents recueils, notamment dans les Chefsd'œuvre de l'éloquence française, 1re partie, pp. 80 à 166 de la 4e édit., il convient, semble-t-il, de signaler les écrits suivants :
Memories of count Lally, from his embarking fort the East Indies, to his being sent prisoner of war of England... illustrated by a Map of his military operations in the East Indies... London, 1766, in-8º. C'est une traduction anglaise des Mémoires de Lally.
Réponse au premier plaidoyer de M. d'E..., dans l'affaire du comte de Lally, par un ami (Condorcet) de M. de Voltaire. Londres, 1781, in-8º.
Lettre à M. ***, mi-juillet 1781. S.l.n.d., in-8º.
Mémoire du comte de Lally-Tollendal, en réponse au dernier libelle de M. Duval d'Espreménil. Paris, 1786, in-8º.
Motifs qu'ont les citoyens de s'intéresser dans la cause de M. le comte de Lally. La Haye, 1786, in-8º.
M. de Lally-Tollendal à MM. les Rédacteurs du Journal de l'Empire. Paris, ce 23 septembre 1811. Paris, imp. Lenormant, in-8º. Réponse à la citation d'une lettre de Mme du Deffand.
Voir aussi : Le procès de Lally-Tollendal, discours par Paul Reullier, 1890, in-8º de 62 pp., et Le Bâillon en 1766, Lally-Tollendal et son procès de trahison, par Alfred Meyer. Paris, Stock, 1898, in-18 de 73 pages.
La ville de Romans a donné le nom de Lally-Tollendal à une de ses places.
ICONOGRAPHIE. - I. Lith. in-4º. Micorps, de 3/4 à G., dans une prison, drapé dans un manteau sur lequel on voit la croix de Saint-Louis. Dans un coin, à G. : B. D. et en marge : Je recommande ma mémoire à mon fils et je meurs innocent... Lally. - II. Grav. sur pierre in-fol. Buste de 3/4 à G., dans une prison ; cadre, 0,322/0,178. - III. Autre, in-4º. En pied, de 3/4 à G., sur une charrette, avec deux autres personnes. Cadre arrondi par le haut, 0,138/0,100. Marckl del, Pardinal, sculp. En bas : Exécution du comte de Lally. - IV. Grav. sur cuivre, in-8º. Buste de 3/4 à G. ; cadre, 0,125/0,175. - V. Grav. sur acier in-8º. En pied, terrassé par des agents devant les juges qui veulent l'empêcher de parler. Tony Johannot del. Nargeot, sculp.
#Biogr. Dauph., ii. - Decourcelles. Dict. des gén., vii, 95-106. - Dict. hist., éd. de 1822, iii, 15, 93, 95, 102, 106. - Sismondi, Hist. des Franç., xxix, 254, 300-305. - Biog. gén., xxix. 15 et suiv. - Nouv. rev. encycl., 1847. 294-97. - L'Impartial de Romans, nos des 23, 31 mai, 7 juin, 12 et 26 juill. 1883. - Dr Chevalier, Arm. de Romans. - Magas. litt., nº 73. - Le Droit, nos des ier et 2 avril 1847. Paris, nº du 10 mai 1853. - Etc., etc.




Brun-Durand Dictionnaire Biographique de la Drôme 1901

Société de Sauvegarde des Monuments Anciens de la Drôme & Les amis du Vieux Marsanne

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