LA TOUR-DU-PIN LA CHARCE (Philippe de)



LA TOUR-DU-PIN LA CHARCE (Philippe de)), fille cadette du précédent, est l'héroïne généralement connue sous le nom de Philis de la Charce, que des écrivains enthousiastes ont comparée à Jeanne Hachette, voire même à Jeanne d'Arc, et dont les différentes biographies sont toutes plus ou moins inexactes. D'abord, elle ne naquit pas à Nyons, comme le dit Rochas, mais à Montmorin (Hautes-Alpes), le 5 janvier 1645, et ce n'est conséquemment que par sa vie, qui se passa à peu près tout entière à Nyons, où il est question de lui élever une statue, qu'elle nous appartient. Quant à ce que l'on raconte de son éducation, qui aurait été commencée à Montfleury et terminée par Mme Deshoulières, c'est invraisemblable, attendu que, née protestante, elle le resta assez tard pour qu'on l'appelle encore nouvelle convertie en 1692, ce qui exclut toute éducation par des religieuses, et qu'elle n'avait pas moins de vingtsept ans sonnés quand Mme Deshoulières vint habiter Nyons, non en 1663, comme le pense Walkenaër, mais bien neuf ans plus tard. Ce qu'il y a de vrai en cela, c'est que, pendant son séjour à Nyons, où l'une de ses filles, alors âgée de quinze ans, fut baptisée le 11 mars 1673, et prit ensuite le voile avec une de ses sœurs, dans le prieuré de Saint-Césaire, Mme Deshoulières se lia intimement avec Mlle de la Charce et sa sœur cadette, Mlle d'Aleyrac, et que, bien que celleci se rapprochât davantage d'elle par ses tendances poétiques, ainsi que le prouvent certains vers de sa façon insérés dans la Nouvelle Pandore (pp. 204-205), ses préférences furent pour Philis, à qui elle dédiait, en 1673, une pièce de vers sur la fontaine de Vaucluse, et adressa, plus tard, une Epître chagrine. Mais ce n'est évidemment pas à cela que tient la célébrité de Philis de la Charce, car elle la doit uniquement à sa conduite virile en 1692, quand le duc de Savoie, profitant de ce que notre province était dégarnie de troupes, envahit, au mois d'août, le Gapençais et l'Embrunais, les ravagea, et en pilla et incendia la {75}plupart des centres de population. Femme de caractère énergique - et si peu préoccupée de la mode, que Mme de Sévigné, à qui Mme de Grignan avait décrit la toilette de Mme de la Charce et de sa fille au lendemain de la mort du marquis, leur époux et père, répondait, le 9 septembre 1675 : " Mais il faut pleurer d'être dans un pays où l'on porte le deuil si burlesquement ", - Philis, en effet, ne fut pas plutôt instruite de l'invasion savoisienne, qu'elle se mit à parcourir la contrée, excitant les paysans à prendre les armes pour la défense de leurs foyers ; après quoi, elle se plaça à leur tête, avec quelques gentilshommes de la contrée, parmi lesquels le seigneur de Chauvac (Voir : Achard-Ferrus), son voisin de terres, et courut aux cols par où l'ennemi pouvait pénétrer dans le Diois et les Baronnies, pour lui en barrer le passage. On prétend même qu'il y eut, au col de Cabres, dans les premiers jours de septembre, un engagement dans lequel les envahisseurs furent repoussés, et que c'est à la suite de cet échec que le duc de Savoie, qui devait, d'ailleurs, se préoccuper des approches de la mauvaise saison dans cette contrée montagneuse, repassa la frontière ; mais nous n'avons pas, en somme, de renseignements certains sur cette levée de boucliers dauphinois, et le rôle qu'y joua Philis est d'autant plus difficile à préciser, qu'il n'est pas question d'elle dans les documents officiels relatifs à la campagne de 1692, non plus que dans la plupart des mémoires et des journaux du temps. Seul, Le Mercure galant dit, à la date du 14 septembre 1692 : " Enfin, les troupes du duc de Savoie ont abandonné Gap, après avoir chargé trois cents mulets de ses dépouilles... Le zèle qu'a fait paraître Mlle Philis de la Charce, nouvelle convertie, pour le service du Roi, ne doit pas estre oublié. Elle a empêché la désertion des peuples,... elle s'est mise à leur tête, a gardé les passages, fait couper les ponts, etc. Mme la marquise sa mère exhortoit les peuples à rester dans le devoir, pendant que sa fille résistoit aux ennemis de la montagne... " Et cela a suffi pour que romanciers et biographes, renchérissant les uns sur les autres, en soient arrivés à faire de notre Dauphinoise une femme de guerre consommée en fait de stratégie aussi bien que de bravoure, dont ils racontent avec détails les marches, les contre-marches, les combats, les coups de feu et les coups d'épée, ce qui fait assurément honneur à leur imagination, mais ne résiste guère à la critique. Appuyés ensuite sur quelques lignes des " Mémoires " de Dangeau, qui ne sont pas exempts de surcharges, comme on sait, les mêmes auteurs racontent que Philis de la Charce ayant été appelée à Versailles, au mois d'août 1694, se vit octroyer une pension de 2,000 livres, représentant la solde d'un colonel, en récompense de ses faits d'armes, et que Louis XIV ordonna, en outre, de mettre son épée et ses pistolets dans le trésor de Saint-Denis. Seulement, il a été établi, depuis, que cette pension, qui était payée par la régie des biens des religionnaires fugitifs, fut d'abord accordée au père de Philis, - très probablement en récompense de son zèle contre les huguenots récalcitrants de ses terres, - bien qu'il fùt lui-même huguenot ; après la mort de ce marquis, à sa fille Philis, et, après la mort de cette dernière, à sa mère, alors âgée de 83 ans ; et, pour ce qui regarde le dépôt des armes de notre héroïne au trésor de Saint-Denis, Rochas, après avoir accepté les versions des biographes les plus complaisants, a laissé une note dans laquelle il déclare qu'aucun des inventaires de ce trésor ne fait mention de ces armes. En fautil conclure que tout ce qui a été dit de Philis est du domaine de la légende ou du roman ? Assurément non. Seulement, il faut bien reconnaître, ainsi que le fait, du reste, le plus complet {76}et le plus enthousiaste des biographes de notre héroïne, que si, pour beaucoup, l'histoire ne doit s'écrire que sur pièces, ou tout au moins d'après des données certaines, d'autres, et il est tout à fait de ce nombre, estiment qu'il n'est point " mal d'enfler un peu les belles actions, de poétiser un peu les caractères, de flatter, à l'occasion, les portraits des grands personnages et des femmes héroïques. "
La ville de Grenoble a donné le nom de Philis de la Charce à une de ses rues.
ICONOGRAPHIE. - I. Grav. A cheval, vêtue en amazone, sans armure, et tournée à G. ; dans le fond, des troupes en marche et un combat. Légende : Philis de la Tourdu-Pin la Charce, fille du marquis de la Charce, lieutenant-général des armées du Roy, laquelle, en 1692, dans l'irruption du duc de Savoye en Dauphiné, fit armer sous les ordres du général de Catinat, les communes de son canton et s'estant mis à leur teste..., H. Bonnard, 1695. R. B. del. - II. Grav. En pied, debout, la main gauche sur la hanche, la droite posée sur un cartouche à ses armoiries ; dans le fond, un combat. H. Bonnard, excud., et, au-dessous, cinq vers latins et huit vers français en l'honneur de " Phylis. "
BIO-BIBLIOGRAPHIE. - I. Histoire de Mlle de la Charce, de la maison de la Tourdu-Pin, en Dauphiné, ou Mémoires de ce qui s'est passé sous le règne de Louis XIV. - Paris, Pierre Gandoin, 1731, in-12, de 452 pp. C'est un roman anonyme, dont l'auteur était Dauphinois - II. Mademoiselle de la Tourdu-Pin, par la comtesse Dash. Autre roman qui a eu plusieurs éditions. - III. Philis de la Charce et l'Invasion du Dauphiné en 1692, par Mme Louise Drevet. Autre roman extrait du Dauphiné, viii. - IV. Philis de la Tourdu-Pin, Mademoiselle de la Charce, Etude historique, par M. l'abbé Lesbros. Paris, Téqui, 1883, in-8º, avec portrait et carte. - V. Philis de la Charce, - Conférence (1645-1723), par Maurice Franck. Orléans, 1899, in-8º de 58 pp.
#Biogr. Dauph., ii, 36. - Le Mercure franç., année 1692, p. 327. - La Gazette de Fr. du 30 juin 1703. - Le Parnasse des Dames, v, 107. - Bull. de l'Acad. Delph., 3e s., i, 3-32 ; ii, 189-94. - Champollion, Chron. Dauph., ii, 298-311. - Bull. d'Hist., ix. 137. - Lacroix, L'Arr. de Nyons, i, 199. - Etc.




Brun-Durand Dictionnaire Biographique de la Drôme 1901

Société de Sauvegarde des Monuments Anciens de la Drôme & Les amis du Vieux Marsanne

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