MONTLUC (Jean de Lasseran de Massencome)



MONTLUC (Jean de Lasseran de Massencome ou de Marcencosme de)), joua, vingt-cinq ans durant, un rôle considérable dans les affaires publiques, du temps des Valois, sous le nom d'évêque de Valence ; aussi nous semble-t-il d'autant plus à propos de résumer ici ce que l'on sait de ce prélat " fin, deslié, trinquat, rompu et corrompu ", comme l'appelle Brantôme, que nous pouvons non seulement y ajouter quelques détails intéressants pour l'histoire locale, mais encore fixer, à l'aide de documents peu connus, certains points controversés. Fils puîné d'un pauvre gentilhomme gascon, - dont le " père avait vendu tout le bien qu'il possédoit, hormis huict cents ou mille livres de revenu ", et qui n'eut pas moins de onze enfants, dont huit lui survécurent, - il aurait bien voulu faire comme son aîné, qui gravit un à un tous les degrés de la hiérarchie militaire, jusques et y compris celui de maréchal de France ; seulement il était boiteux et c'est pour cela qu'il se fit religieux de l'ordre de Saint-Dominique. A quel âge ? il est d'autant plus difficile de le dire qu'on ne sait pas bien la date de sa naissance, - 1502, 1506 ou 1508, - non plus que le lieu, - Condom ou Sainte-Gemme. Ce qu'il y a d'indiscuté, c'est qu'étant moine, il fut attiré à Nérac par la reine Marguerite de Valois, dont la cour était un rendez-vous de novateurs et surtout de gens d'esprit et de mœurs faciles, et que cette princesse, après lui avoir fait quitter le froc, le mena à la cour de son frère, le roi de France, et l'y poussa à tel point que notre an{167}cien moine avait déjà fait une première fois le voyage de Rome, en qualité d'attaché à l'on ne sait pas bien quelle ambassade, lorsqu'il y accompagna, en qualité de protonotaire, l'évêque de Mâcon, Charles Hémard. C'était en 1536. Quelques mois après, Montluc partait pour Constantinople chargé d'une mission de confiance auprès du sultan ; après quoi il revint à Rome où le comte de Grignan, notre ambassadeur, le déclarait on ne peut plus apte aux grandes affaires, dès le 30 mars 1539. Aussi ne rentra-t-il en France, l'année suivante, que pour aller en mission à Venise l'an 1542, puis, derechef à Constantinople, où les événements le servirent si mal qu'il fut disgracié à son retour, en 1545. On prétend même qu'il fut alors mis à la Bastille. Quoi qu'il en soit, il en sortit et de si belle façon qu'en 1548 on l'envoyait en Ecosse, pour y être premier ministre et chancelier de la régente Marie de Lorraine, ce qu'il ne put pas être, ou du moins ne fut pas longtemps, à cause des écarts de sa vie privée ; mais ce qui lui valut, en tout cas ; d'être élevé à l'épiscopat. La maison de Guise, qu'il avait servie en Ecosse, voulait pour lui l'archevèché d'Embrun, et l'on dit même qu'il fut un moment question pour lui de l'archevêché de Bordeaux ; enfin, comme il était alors assez d'usage que l'Eglise payât les dettes de l'Etat, on lui donna les évêchés unis de Valence et de Die.
Les bulles qui sanctionnèrent sa nomination sont du 9 octobre 1553, suivant le procès-verbal de prise de possession par procureur du siège de Valence ; mais ce n'est qu'au bout de dix-huit mois que Montluc fit son entrée dans cette ville ; car les Valentinois étant en procès avec ses fermiers au sujet des droits de péage, il voulut auparavant terminer ce différend d'une manière amiable et, pour le surplus, il s'ingénia si bien, pendant ces dix-huit mois, à être agréable aux habitants de sa ville épiscopale, qu'un envoyé de ceux-ci l'étant allé entretenir à Paris de la restauration de leur université, affaire de la plus grande importance pour eux, on le vit écrire aux consuls de Valence, le 4 juin 1554, que le nouvel évêque plein d'excellentes dispositions pour la restauration de l'Université, " qu'est la plus belle rose qui soit en leur chapeau ", cherche pour cela un professeur de grand renom, " M. Ferrerius, M. Courras ou M. Goveanus ", - c'est-à-dire Armand du Ferrier, Coras ou Govéa, - et qu'il faut le laisser faire, attendu qu'il est " homme bien entendu, et débonnaire, ...de grand crédit et pouvoir, qui ne veut pas être leur seigneur, mais leur père et bon amy. " Aussi les Valentinois firentils une brillante réception au prélat, lorsqu'il arriva enfin dans leurs murs, au mois d'avril 1555 ; la preuve en est dans certaines délibérations consulaires des mois précédents portant que, pour recevoir le nouvel évêque, on fera " composer une farce et maumerie et se pourveoira de personnes pour les jouer " ; puis, qu'il y aura " quelque passe-temps à cheval, pour lequel sera faict une bague pour courir de 4 ou 5 escus, ...et qu'on fera provision de 30 livres de pouldre pour l'artillerie " ; enfin, qu'on lui donnera " ung gobeau couvert doré de 60 ou 80 escus. " Malgré cela, Montluc, homme politique avant tout, ne fit alors qu'une courte apparition dans ses diocèses ; car, étant retourné aussitôt à Paris pour les " afféres du roy ", ce n'est en réalité que deux ans plus tard qu'il s'occupa quelque peu de ses diocésains en tant qu'évêque.
Les premiers sermons que l'on a de lui sont, en effet, de 1557, et l'on sait d'ailleurs qu'un M. Filles, Fillo ou Philo, obtint, en 1558, du conseil de ville de Valence, une allocation de 10 écus " pour les peynes qu'il avoit pris, aydant Mgr de Valence les presches de ceste caresme passée. " Or, fait assez singulier, tandis que les sermons imprimés de Montluc sont {168}orthodoxes en somme, ceux de Fillo laissèrent tant à dire sous ce rapport que, de très graves désordres étant arrivés à Valence, en 1560, par le fait des partisans de la Réforme, il fut dit dans ce même conseil de ville, que la responsabilité de ces désordres remontait à celui qui avait " ordonné la chière à M. Fillo ", que l'on avait " ouy prescher propos hérétiques ", c'est-à-dire à l'évêque ; et, si cette assemblée, se ravisant plus tard, déclara qu'elle n'avait jamais entendu " par les oppinées faictes comprendre les presches faicts par Mgr de Valence, ni le taxer aucunement de ses vye, mœurs et conversation ", on voit bien qu'elle ne le fit que par crainte et sur une sorte de mise en demeure des représentants du prélat. Ajoutons que c'est dans le même temps que Montluc fut accusé d'hérésie par le doyen du chapitre cathédral de Valence, Félix Vermond, qui dut à cela d'être condamné par le Grand Conseil du roi à demander pardon et payer 1,500 livres d'amende, parce qu'il était le moins fort des deux.
A ce moment-là, Montluc était, d'ailleurs, soit en Angleterre, soit en Ecosse, chargé d'une mission diplomatique de grande importance, et, de retour en France, au bout de quelques mois, il assista à l'assemblée de Fontainebleau, où il prit moins position dans le parti des Politiques qu'il n'accentua son scepticisme religieux. En prenant à tout propos la défense des Réformés il voulait se les rendre favorables ; mais il y arriva si peu que, passant à Vienne au mois d'août 1561, il échappa très difficilement au gouverneur huguenot de cette ville, qui le voulait faire arrêter, et que, s'étant alors réfugié à Annonay, - où il poussa l'oubli de son caractère épiscopal jusqu'à assister " au sermon des protestants, nonobstant les invectives que les ministres vomissaient contre luy ; ce qui ne laissait pas de le mortifier ", dit Achille Gamon, - il dut encore s'enfuir bientôt, à cause d'un ordre d'arrestation lancé contre lui par des Adrets. Cela ne l'empêcha pas de se ranger du côté de Théodore de Bèze et de Pierre Martyr dans le colloque de Poissy (9 sept.-13 oct. 1561) et, qui plus est, de s'y élever contre les vices du clergé, lui qui laissa toujours tant à désirer sous le rapport des mœurs, et de se plaindre de la non résidence des évêques, lui qui résida si peu dans ses diocèses. De même les protestants valentinois ne s'abstinrent point de le traiter en ennemi, quoi qu'il fît pour les désarmer, si bien qu'après avoir contraint Montluc de s'éloigner de leur ville, dont il était seigneur temporel, ils refusèrent l'entrée de l'hôtel de ville à ses officiers, ce qui le fit, pour la première fois, changer d'allure ; car, instruit de ce dernier fait, il écrivit aussitôt à l'un des consuls : " Puisque mon nom est si peu révéré entre vous aultres, je vous déclare que vous n'aurez aulcun secours ny ayde de moy et que la ville de Valence s'appercevra dans six mois, que mon nom luy estoit plus profitable que celuy de ceulx qui n'ont servy depuis six ans que de la mettre en dangers et que je vous feray bailler une bride si roide, que vous n'aurez puissance d'introduire telles gens à l'administration de la République. " Seulement, toutes choses s'arrangèrent ensuite et si bien que, quelques mois après avoir écrit cette lettre, qui est du 28 décembre 1564, Montluc obtenait du roi l'union de l'université de Grenoble à celle de Valence, autrement dit réalisait le grand rêve des Valentinois. Or, Montluc était à ce moment-là, depuis quelque temps, en Languedoc, avec charge de remettre l'ordre dans les finances de cette province et de faire rentrer dans le domaine royal les biens qui en avaient été injustement distraits, mission plus que délicate, qu'il remplit avec autant d'intelligence que de fermeté, jusqu'à ce que, redevenant diplomate, il pût en remplir une autre en Pologne. Ce voyage de Pologne {169}est trop connu, grâce à la relation qu'en a laissée Jean Choisnin, secrétaire de M. de Valence, comme on appelait Montluc, pour que nous ayons à le raconter ici. Bornons-nous à rappeler qu'il s'agissait de négocier l'élection du futur Henri III, comme roi de ce pays et que la négociation réussit ; que Montluc s'étant mis en route au moment de la Saint-Barthélemy (24 août 1572), dut à cela d'être arrêté et retenu prisonnier pendant dix jours, à Verdun, par le lieutenant du gouverneur de cette ville, qui était un forcené ligueur et croyait que le peu orthodoxe prélat s'enfuyait ; enfin que, lorsqu'il fut revenu de cette ambassade, le roi Charles IX lui fit don de 100,000 livres tournois, pour récompense des services par lui rendus, principalement en l'élection du duc d'Anjou au trône de Pologne. Les lettres royales sont du 21 septembre 1573.
Par contre, Montluc, déclaré hérétique par la cour de Rome, se vit enlever, dans le même temps, ses deux évêchés, auxquels son neveu Charles de Léberon, abbé de Saint-Ruf et l'un de ses collaborateurs dans l'ambassade en Pologne, fut nommé au mois de novembre 1574. Seulement, il y eut alors entre celui-ci et son oncle et prédécesseur de tels arrangements que, Léberon, qui n'était encore que diacre et ne reçut pas la consécration avant 1578, se contenta pendant deux ans de l'administration des deux diocèses et du titre de " Monsieur de Die " ; ce n'est, en effet, que vers la fin de 1576, qu'il s'intitula " esleu de Valence ", Montluc ayant espéré jusque-là que la cour de Rome reviendrait sur ses décisions, ainsi que permet de le supposer la fondation qu'il fit encore, à Valence, d'un collège confié aux Jésuites, en 1575 ; il avait fondé, onze ans auparavant, dans cette ville, une sorte d'école supérieure appelée collège des arts et collège Montluc, dans laquelle, fait à noter, " les maistres ne parloient point du faict de la relligion, mais tant seulement instruisoient les jeunes gens des belles-lettres. "
Avec cela, notre prélat homme d'Etat n'en continua pas moins d'intervenir pendant ces deux années dans les affaires de la ville et de l'université de Valence, et ce n'est, en somme, que le 21 décembre 1577, qu'il fit ses adieux aux Valentinois, dont les magistrats l'adjurèrent " de avoyr toujours en mémoyre leur pauvre communaulté. " Bien mieux, dépossédé tout à fait de ses évêchés et même de son titre d'évêque, - puisqu'il avait été déclaré hérétique, - et nommé par le roi surintendant de police, justice et finances en Languedoc, il ne cessa pas de s'intituler évêque de Valence jusqu'à sa mort, arrivée à Toulouse, le 12 avril 1579, alors qu'il parcourait depuis quinze mois cette province, pour y faire accepter, par les partis, la paix de Bergerac.
On trouve un portrait de ce prélat, dessiné à la pierre noire, à la Bibl. nat., et un autre, peint sur toile, à l'évêché de Valence. Ce dernier a été donné par M. Hector Reynaud, docteur ès lettres, en tête de son livre : Essai d'Histoire littéraire, Jean de Monluc, évêque de Valence et de Die. Paris, 1893, in-8º.
BIBLIOGRAPHIE. - I. Instrvctions chrestiennes de l'Evesque de Valence... sur les commandemens de la loy, et les saints sacremens, avec deux Epistres : l'vne co(n)tenant vne exhortation pour tous estats, à la méditation et observance des commandemens de Dieu ; l'autre, la manière de chrestiennement faire les processions et pénite(n)ces publiques. Plvs, aucuns sermons sur les articles de la foy, et l'oraison dominicale ; et, sur la fin, quelques oraisons tirées des prières de l'Eglise, à ses diocèses de Valence et Dye. Paris, Michel de Vascosan, mdlvii. 1559, 1561, 1565 et 1566, in-8º. - Autres éd., de Rouen, Avignon et Lyon, 1561, in-8º. Trad. en italien et en flamand.
II. Devx instrvctions, et trois Epistres faictes, et envoyées au Clergé et peuple de Valence, et de Dye, par leur Evesque. Paris, M. de Vascosan, mdlvii, in-8º de 98 ff. - Autre éd., Rouen, B. Bélis et Th. Mallard, 1557, in-16.
III. Sermons... sur les articles de la foy et oraison dominicale. Plvs, quelques orai{170}sons tirées des prières de l'Eglise... Paris, M. de Vascosan, 1557, 1561, 1565, in-8º. - Autre éd., Lyon, Guill. Regnoult, 1561, in-8º. - Autre, Avignon, 1561, in-32. Ces sermons se trouvent également dans le nº I. Ce livre fut censuré par la faculté de théologie de Paris.
IV. Sermons... sur certains points de la religion, savoir la foi, la charité, l'espérance et la patience, le nom de Dieu, l'oraison, le sabbat, recueillis fidèlement ainsi qu'ils ont esté prononcez, plus un sermon à son clergé fait au Sené (synode) de juillet mdlvii. Paris, Vascosan, 1559, in-8º ; et Avignon, J. Dubois, 1561, in-16. Ce livre a, également, été censuré par la faculté de théologie de Paris.
V. Recueil des lieux de l'écriture sainte servant à découvrir les fautes qu'on commet contre les dix commandemens de la loi, prononcé mot à mot. Paris, Vascosan, 1559, in-8º. - Autre éd., Avignon, J. Duboys.
VI. Familière explication des articles de la foi... Plus le symbole de S. Athanase, avec un brief recueil des lieux de l'Ecriture servant à l'explication d'iceux articles. Paris. Vascosan, 1561, in-8º de 181 pp. - Autre édit., Lyon, Regnoult.
VII. Cleri Valentini et Dyensis reformatio, restitutioq. ex sacris patrum conciliis excerpta... Lvtetiæ... Mich. Vascosan, mdlviii, in-8º de 103 ff. Le privilège est du 7 des ides de février 1553.
VIII. Remonstrances faictes par le sieur de Vallence... aux Estats généraux de Languedoc, tenus à Béziers au mois d'apvril mil cinq cents soixante-dix-huict. Paris, 1578, in-8º de 36 ff.
Peut-être faut-il ajouter l'écrit intitulé : Défense pour Monsieur de Monluc, evesque et comte de Valence, contre un livre naguères imprimé soubs le nom de Zacharias Furneterus, traduit de latin en françois. Paris, Robert le Manguier, 1575, in-8º de 415 pp.
#Jo. Columbi, Quod Joannes Monlucius non fuerit hereticus. - Tamisey de Larroque, Notes... pour... la biographie de Jean de Montluc... - Brantôme. - Echard, Script. ord. prœd., ii, 252. - De Thou, iii, 460 ; iv, 200, etc. - Bossuet, Hist. var. - Arch. Valence, AA, 10 ; BB, 6. - Id. Drôme, E, 2582. - Bibl. nat., mss. fr., 4594 et 4735. - Corresp. Catherine de Médicis. - Bull. d'hist. ecclés., xvi, 196. - Ed. Maignien, Dict. des anon. - Rev. de Gascogne, avril 1888 et janv. 1889. - Etc., etc.




Brun-Durand Dictionnaire Biographique de la Drôme 1901

Société de Sauvegarde des Monuments Anciens de la Drôme & Les amis du Vieux Marsanne

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