MONTLUC (Jean de)



MONTLUC (Jean de)), seigneur de Balagny, fils naturel du précédent, que Chorier dit être né en Dauphiné, naquit probablement à Livron, car il était de tradition à Valence, au xviie siècle, que sa mère habitait là ; mais celle-ci n'était pas une abbesse de Soyons, comme l'avance l'historien dauphinois, attendu que les lettres de légitimation, obtenues au mois de janvier 1567, sont pour " Jehan de Montluc, fils de messire Jehan de Montluc, evesque de Vallence, lors de la conception, et damoiselle Anne Martin, pour lors vefve. " Quant au prétendu mariage secret, que le peu orthodoxe évêque de Valence aurait contracté avec la mère de son enfant, suivant Bossuet, il ne s'explique guère en un temps où il n'y avait pas d'autre mariage que le mariage religieux, Montluc n'ayant jamais rompu ouvertement avec l'Eglise. Ce qu'il y a de certain, c'est que ce dernier poursuivit la légitimation de son fils avec une telle ardeur qu'il faillit en être disgracié à la Cour, et qu'il l'éleva auprès de lui dans de telles conditions que le duc de Nevers passant à Valence, au mois de juin 1571, c'est Balagny qui lui fit, en l'absence de son père, les honneurs du palais épiscopal. Enfin, l'ayant envoyé, suivant l'usage du temps, en Italie, pour y terminer son éducation, ce jeune homme, alors âgé de dix-sept ans au plus, était encore à Padoue quand le prélat diplomate le fit charger d'une mission en Pologne, en lui adjoignant comme compagnons et comme conseils son secrétaire Jean Choisnin, un gentilhomme du nom de Charbonneau, que nous croyons être de Chabeuil, et le bailli de Valence, Just du Bayle, sieur de Lambres.
C'était au commencement de 1572 et la mission était des plus délicates ; car, il s'agissait de faire discrètement certaines démarches, en vue d'amener plus tard l'élection du troisième fils de Catherine de Médicis, le futur Henri III, comme roi de Pologne ; et, tout inexpérimenté qu'il était, Balagny s'en tira si bien, qu'étant revenu en France, pour rendre " compte de toutes choses à Leurs Majestés, il fut incontinent dépesché pour s'en retourner en Polongne, et y continuer à leur faire service, comme il avoit commencé, " ce qui {171}équivaut à dire qu'il fut, tout jeune, un personnage. Aussi le trouve-t-on à la tête d'une compagnie dès le mois de décembre 1574, date à laquelle les habitants de Valence demandaient cette compagnie pour garder leur ville ; et, deux mois après (21 février 1575), les magistrats de cette même ville décidaient d'offrir " quelque chien exquis au seigneur de Ballany ", en reconnaissance des bienfaits de Mgr de Valence. Ajoutons que, pour l'apanager, l'évêque son père lui assura ensuite une partie des dîmes du Vercors, en cédant l'évêché de Valence à son neveu. Or, Balagny était d'autant plus à même de tirer parti de tout, pour son élévation, qu'il avait peu de scrupules. Après avoir cherché quelque temps sa voie, il s'attacha au duc d'Alençon, qui l'en récompensa en le faisant gouverneur de Cambrai, en 1581 ; puis, ce prince étant mort (1584), il se tourna du côté de la Ligue, sans abandonner, bien entendu, le gouvernement de Cambrai, où il se fortifia au contraire si bien qu'on le voit fournir 300 chevaux au duc de Guise, au mois d'août 1587, et mener, mai 1589, 4000 hommes et 7 pièces de canon au duc d'Aumale qui assiégeait Senlis. Seulement, il s'était fait tant d'ennemis, par ses vexations et ses pilleries, qu'à cette nouvelle quantité de gentilhommes coururent au secours des Senlisiens et battirent les assiégeants. Balagny fut même quelque peu blessé dans cette affaire, mais il ne laissa pas pour cela de courir à Paris, pour y atténuer par ses discours l'effet de cette défaite sur l'esprit public, et il contribua l'an suivant à faire lever le siège de cette ville par Henri IV, ce qui ne l'empêcha pas de faire ensuite avec ce prince un traité, qui est, et de beaucoup, le plus onéreux de tous ceux que le Béarnais fit avec les Ligueurs pour acheter la paix. Car, indépendamment de ce qu'il lui fit compter 828, 930 livres, le roi lui reconnut des droits de souveraineté sur Cambrai et le Cambrésis ; le prit sous sa protection, lui, sa famille et son état ; lui laissa, à titre de lieutenant, la garde des châteaux de Marle, de Bohin, de Beaurevoir et de Ribemont, dont il s'était emparé pendant les troubles ; enfin, le créa maréchal de France, Balagny s'engageant par contre à prêter le serment de fidélité au roi de France et à lui fournir 2.000 hommes de pied et 500 chevaux en cas de besoin.
Négocié par sa femme, Renée d'Amboise, le 29 novembre 1593, et ratifié au mois d'avril suivant, ce traité était bien de nature à satisfaire les plus ambitieux ; et, de fait, Mme de Balagny, qui avait été l'âme de toutes les entreprises de son mari, se refusa absolument ensuite à échanger la principauté de Cambrai contre d'autres biens. Seulement, le nouveau prince, qui se fit de tout temps beaucoup d'ennemis par sa rapacité et son orgueil, croyant n'avoir plus rien à craindre après son traité avec Henri IV, se rendit tellement odieux à ses sujets que les Espagnols, qui se tenaient au courant de tout ce qui se passait dans cette ville, ayant mis le siège devant Cambrai au mois d'août 1595, les Cambraisiens finirent par leur ouvrir leurs portes, pour se délivrer de sa tyrannie. Voyant cela, la femme de Balagny, en véritable sœur du brave Bussy, tenta bien de résister, se rendant, une pique à la main, sur la place publique pour faire rentrer la foule dans le devoir, mais rien n'y fit ; et, désespérée, cette héroïne se renferma alors chez elle où elle mourut de chagrin, le 7 octobre, pendant que son mari signait une capitulation. " La dame de Balagny crut alors que mourir était quelque chose de moins fâcheux que de rentrer dans le néant ", dit un auteur ; mais Balagny fut d'un autre avis, car dépossédé de sa principauté et devenu veuf, il se consola de cette double perte en prenant pour seconde femme Diane d'Estrées, sœur de la maîtresse d'Henri IV qui, " par sa conduite impudique, le rendit la fable et la risée de ses contemporains ", si l'on en croit un chroni{172}queur. Il mourut au mois de juin 1603, et Pierre de l'Etoile dit qu'on lui fit cette épitaphe :
[Cy-gist Balagny sans couronne,
Bien que son père l'ait porté.
L'Espagnol dans Cambray lui donne,
Pour mieux honorer sa personne,
Le titre de prince avorté.]
#Biogr. dauph., ii, 160. - Chorier, Hist. abr., ii, 222. - Bull. d'archéol., xv, 289. - Bibl. nat., mss. fr., 4595. - Bossuet, Hist. des var., ii, 197. - Fillet, Essai sur le Vercors, 129. - De Thou, Hist. univ., vi, 448 ; x, 25, 637 ; xii, 291, 416, 430, 436. - Sully, Mem., iii, 286. - Arch. de Valence, BB, 7, 9. - Moreri, Dict. hist. - Etc., etc.




Brun-Durand Dictionnaire Biographique de la Drôme 1901

Société de Sauvegarde des Monuments Anciens de la Drôme & Les amis du Vieux Marsanne

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