RODON (David)



RODON (David{316} de) ou DERODON, professeur de philosophie qui fut, dit-on, un des plus habiles dialecticiens de son temps, et dont les différentes notices biographiques sont toutes plus ou moins incomplètes ou erronées, naquit à Die, dans les premiers mois du xviie siècle. Il était le fils d'Abel de Rodon, diacre de l'église protestante de Die, qui professa dix années durant (1607-1617) la quatrième à l'académie de cette ville, et de Judith de la Place. Guillaume de Rodon, son aïeul paternel, exerçait, en 1550, les fonctions de juge à Die ; et nous croyons qu'il était frère d'un Louis de Rodon, notaire et procureur, vivant en 1649.
Etudiant en théologie à l'académie de sa ville natale, en 1618, David de Rodon fut alors chargé de remplacer son père, comme professeur de quatrième, tout en continuant ses études ; mais telle était sa conduite, que le 26 juillet de l'année suivante, on le renvoya, à cause de " ses débauches et dissolutions ordinaires " et, parce qu'il avait insulté plusieurs dames des plus honorables dans des libelles, et, de plus, " horriblement blasphémé par un contournement des mots : Paul, Paul, pourquoi me persécutestu ? " De dépit, il alla chez les Jésuites de Vienne. Seulement, comme il n'était pas homme à s'accommoder de leur sévère discipline, il revint assez promptement à Die, et, comme il avait fait preuve, dans l'intervalle, de qualités de polémiste qui le rendaient précieux en ces temps de disputes théologiques, ceux-là mêmes qui l'avaient chassé l'accueillirent alors avec empressement et, pour le retenir, lui rendirent sa chaire de quatrième. Par contre, il est vrai, un avocat nommé Perrinet, dont il avait blessé le frère, un soir de débauche, et qui avait obtenu, pour ce fait, un décret de prise de corps contre lui, menaça de faire exécuter ce décret, s'il était donné suite à cette réintégration ; cette menace mit le Conseil académique dans une situation d'autant plus difficile, qu'ayant alors prié le jeune professeur de donner sa démission, pour éviter un scandale, de Rodon refusa absolument, pour ne pas donner, disait-il, de " sinistres opinions de lui " ; il finit même, après deux mois de négociations et de pourparlers, par reprendre possession de sa chaire.
L'année suivante et au mois de novembre, les deux chaires de philosophie de l'académie protestante de Die manquant de titulaires, notre professeur de quatrième se mit sur les rangs pour obtenir l'une d'elles ; mais elle lui fut refusée, ou, plus exactement, les quatre candidats qui postulaient ces deux chaires ayant été déclarés tous insuffisants, on chargea deux d'entre eux, hommes absolument obscurs, le professeur de seconde, Isaac Escoffier, et le médecin Pierre Chastet, d'enseigner provisoirement la philosophie, et ce provisoire dura treize ans pour l'un, vingt-six ans pour l'autre, c'est-à-dire jusqu'à leur mort. Cette solution mécontenta d'autant plus de Rodon, qu'il n'était pas d'une modestie exemplaire ; et, comme il était avec cela peu docile, il se mit bientôt, tout en faisant la quatrième classe, à donner des répétitions de logique, qui étaient de véritables cours. Partant, il y eut plainte de la part des professeurs en titre, et, sur ces plaintes, le Conseil académique, après avoir inutilement fait des remontrances à notre Diois, lui signifia, le 8 mars 1623, de ne plus donner désormais de répétitions aux " escoliers réthoriciens ou philosophes ", sous peine " d'estre déclaré hors de la charge qu'il exerce précairement. "
En présence d'une semblable mise en demeure, de Rodon s'empressa d'abandonner, pour la seconde fois, l'académie de Die, et c'est conséquemment à tort que M. le pasteur Arnaud le dit avoir conservé sa chaire de quatrième jusqu'en 1634, et non moins à tort qu'il suppose que les Quatre raisons pour lesquelles on doit {317}quitter la R. P. R., écrit de controverse catholique imprimé en 1631, fut composé par notre professeur de philosophie pendant qu'il était chez les Jésuites de Vienne (1619) qui, ayant retenu son manuscrit, " le firent paraître plus tard, à raison de la renommée qu'acquit dans la suite son auteur " ; car, indépendamment de ce que de Rodon n'acquit de la célébrité que bien après 1631, il est établi qu'il abandonna plus d'une fois le protestantisme et qu'ayant soutenu, en cette même année 1623, devant l'académie de Sedan, deux thèses, l'une : De conciliis, avec Samuel Bochart, sous la présidence de du Moulin ; l'autre : De commentitiis peccati pœnis, sous la présidence de Rambour, on perd ensuite sa trace pendant une dizaine d'années, au cours desquelles furent publiées les Quatre raisons.
Il n'est pas douteux, du reste, que si notre professeur se fût contenté de faire docilement la quatrième classe à Die, le Conseil académique n'aurait pas fait autant de difficultés pour lui confier la seconde chaire de philosophie, après la mort d'Escoffier. Or le Synode provincial assemblé à Montélimar, le 2 août 1634, l'ayant désigné pour occuper cette chaire, le Conseil académique, après lui avoir fait subir deux épreuves, dont il se tira fort bien, ne l'accepta qu'à titre provisoire et refusa, même au bout d'un an, de le nommer professeur à titre définitif. On peut juger, d'après cela, de ce que durent être les rapports du nouveau professeur de philosophie avec ce conseil, pendant les quatre années qu'il enseigna cette science à l'académie de Die, et nous sommes d'ailleurs édifiés à ce sujet par un incident qui a échappé à M. le pasteur Arnaud, bien qu'il se trouve raconté tout au long dans le registre des conclusions académiques.
Le professeur de seconde, Jean Vial, étant décédé le 25 avril 1638, et l'état on ne peut plus précaire de l'Académie permettant de supposer qu'aucun étranger ne se présenterait pour lui succéder, le Conseil le remplaça par le professeur de troisième, François Coatquen. Mais de Rodon, qui exerçait alors la charge de principal du collège, et le recteur de l'Académie, David Eustache, qui était son ami et qui voulait faire nommer un sieur Lagier, ancien professeur de quatrième, firent si bien, après avoir accusé le candidat du Conseil académique de " plusieurs crimes atroces, sales et noirs ", que l'on se décida à mettre la chaire de seconde au concours ; puis, cette décision prise, déclarèrent publiquement que les examinateurs étaient incapables d'apprécier la capacité des candidats ; après quoi de Rodon, non content de traiter le pasteur Aymin de " brigand et de brigueur ", tenta d'ameuter la population contre le Conseil. Coatquen n'ayant pas moins été installé professeur de seconde, le 9 novembre 1638, notre professeur de philosophie refusa d'assister désormais aux réunions du Conseil académique, puis donna sa démission de principal du collège (14 janvier 1639) ; enfin, prétextant un retard dans le paiement de ses gages, il se démit de sa charge de professeur de philosophie à l'académie de Die, et prit un engagement avec le collège d'Orange. Instruit de cela, le synode du Dauphiné, après avoir obtenu du consistoire d'Orange qu'il ne se prévaudrait pas de cet engagement pour retenir de Rodon, insista auprès de celui-ci pour le faire revenir sur sa décision ; mais il fut inébranlable, et malgré toutes les prières, refusa de servir l'académie de Die jusqu'à la fin de l'année scolaire.
Il épousa, à Orange, en 1640, Marie Josserand, et y resta pendant près de quinze ans, au bout desquels il alla professer à Nîmes, qu'il habita neuf ans ; mais tant dans l'une que dans l'autre de ces villes, il ne fut pas plus tranquille qu'à Die, beaucoup moins même ; car sa Disputatio de Supposito, qui parut en 1645, souleva de véritables orages dans le monde théologi{318}gique. Approuvée par quelques pasteurs, Saurin, entre autres, et vantée par un certain Gilles Gaillard, gentilhomme provençal, qui était un ami de l'auteur, elle fut en effet sévèrement jugée par Jurieu, en même temps que condamnée au feu par le parlement de Toulouse, sur la plainte des Jésuites. Peu après, le ministre Claude accusait de Rodon d'hérésie, parce qu'il niait que la conservation des êtres créés fût une création continuelle ; et si cette accusation, prudemment abandonnée dans la suite, puis reprise par un autre, aboutit en fin de compte à un acquittement (1657), notre philosophe se tira moins bien d'un procès qui lui fut intenté à propos du Tombeau de la messe ; car le Conseil du roi, saisi de l'affaire, rendit, le 27 janvier 1663, un arrêt aux termes duquel ce livre de controverse devait " estre bruslé dans la ville de Nismes, par l'exécuteur de la haute justice, et le nommé David Rodon, auteur du libelle, banni hors du royaume. "
Ainsi contraint de s'expatrier, notre professeur se réfugia à Genève, où la Compagnie des pasteurs ne lui permit d'enseigner la philosophie qu'à la condition expresse de n'" y faire aucun mélange de théologie ; de faire voir à M. le Recteur les leçons avant de les dicter à ses écoliers et de n'enseigner rien qui ne soit conforme à la pure doctrine de l'Eglise ", ce à quoi il s'engagea le 1er juillet 1663. Quatorze mois après, il mourait, après avoir signé, en présence de trois pasteurs, " une confession de foi dont on a été satisfait ", dit Saurin ; ce qui prouverait que les doctrines qu'il avait professées jusque-là n'étaient rien moins qu'orthodoxes pour " MM. de Genève. " Et de fait, David de Rodon était surtout un partisan de la philosophie d'Aristote, aimant beaucoup mieux traiter les questions familières aux scolastiques du moyen âge, que celles qui passionnaient les controversistes des xvie et xviie siècles, et pour cela empruntant, a-t-on dit, " à l'école des Thomas d'Aquin et des Duns Scot, jusqu'à la barbarie de sa langue. "
BIO-BIBLIOGRAPHIE. - I. Notice sur David de Rodon, professeur de philosophie à Die, Orange, Nîmes et Genève, par M.E. Arnaud, pasteur. Extrait des Mém. de l'acad. du Gard, 1871. - II. De conversione ad fidem catholicam duorum virorum illustrium, videlicet Jacobi Stephani et Davidis Rodon..., per R. P. Athanasium Mole, Capuccinum. Parisiis, 1685, in-8º.
BIBLIOGRAPHIE. - I. Quatre raisons pour lesquelles on doit quitter la R. P. R. Paris, 1631, in-12. Ouvrage dont il y a une seconde édition ayant pour titre : Quatre raisons qui traitent de l'eucharistie, du purgatoire, du péché originel et de la prédestination. S.n.d.l., 1662, in-8º.
II. In atheos et Dei contemptores tractatus singularis. Deiæ, 1638, in-12. Cet ouvrage paraît être la première édition de celuici : L'athéisme convaincu ou la lumière de la raison opposée à l'impiété. Orange, 1659 ; in-8º, qui fut ensuite complété et réimprimé sous le titre de : La lumière de la raison opposée aux ténèbres de l'impiété ou traitez qui démontrent par raisons naturelles : premièrement, qu'il y a un Dieu ; secondement, que l'Ecriture est parole de Dieu. Orange, 1647 ; in-8º dont il y a une édition de Genève, 1665, in-8º, et de plus une traduction en anglais, par J. Bonhomme. Londres, 1679, in-8º.
III. Disputatio de supposito, in qua plurima hactenus inaudita de Nestorio tanquam orthodoxo et de Cyrillo Alexandrino, aliisque Ephesi in synodum coactis tanquam hæreticis, demonstrantur : ut solæ Scripturæ infallibilitas asseratur. Francofurti (Orange), 1645, in-8º.
IV. Le Tombeau de la messe. Genève, 1654, in-8º. Ouvrage dont il y a trois autres éditions de la même ville et dans le même format, 1659, 1660 et 1662 ; une d'Amsterdam, 1682, in-12, et une traduction en anglais, de Londres, 1673, in-8º.
V. Dispute de l'Eucharistie. Genève, 1655, in-8º, et 1665, in-8º.
VI. Apologie. S.l.n.d., in-4º. C'est une réponse aux attaques dont l'auteur fut l'objet de la part d'un certain Jean Bon, son ancien élève, qui avait relevé les accusations portées contre de Rodon par le ministre Claude.
VII. Logica restituta. Genève, 1659, in-4º.
VIII. Metaphysica. Arausioni, 1659 in-4º.
IX. Disputatio de atomis. Nemausi, 1661, in-8º. Ouvrage dont il y a une seconde édition augmentée. Genève, 1662, in-8º.
X. De existentiâ Dei. S.l., 1661, in-4º.
XI. Disputatio de Ente reali. Nemausi, 1662, in-4º.
{319}XII. Dispute de la messe ou discours sur ces paroles : Ceci est mon corps. Nismes, 1662, in-8º.
XIII. Disputatio de libertate. Genève, 1662 ; in-8º réimprimé à Nîmes, la même année, avec le Disputatio de atomis.
XIV. Compendium logicæ. Genève, 1663, in-8º.
XV. Discours contre l'astrologie judiciaire. Genève, 1663, in-8º.
XVI. Philosophiæ contractæ pars I, quæ est logica. Genève, 1668, in-4º. Ouvrage réimprimé dans la même ville et le même format, en 1681, sous le titre : Philosophia contracta.
XVII. Opera philosophica. Genevæ. 1664, in-4º. Recueil dont il y a une seconde édition de la même ville et du même format, 1669.
XVIII. Les inconstans. Genève, 1671, in-8º.
Quelques auteurs attribuent encore à de Rodon L'imposture de la prétendue confession de foy de Cyrille, patriarche de Constantinople. A Paris, jouxte la coppie imprimée à Poictiers, chez Edme Martin, 1629. In-8º de 16 pp., qui impliquerait l'existence d'une première édition imprimée à Poitiers, et que nous ne connaissons pas.
#Biogr. du Dauph., i, 309. - France prot., édit. Bordier, v, 251 et suiv. - Arch. Drôme, D, 52. - Bayle, Dict., iii, 426. - Thesaurus disput. theol., 966. - Senebier, Hist. litt. de Genève, ii, 313. - Barjavel, Dict. de Vaucluse, i, 431. - Millet, Impr. d'Orange, 17, 20. - De Gérando, Hist. de la philos. mod., ii, 175 et suiv. - Brun-Durand, Les Amis de Jean Dragon. - Etc.




Brun-Durand Dictionnaire Biographique de la Drôme 1901

Société de Sauvegarde des Monuments Anciens de la Drôme & Les amis du Vieux Marsanne

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