Page 205 - Tous les bulletins de l'association des" Amis du Vieux Marsanne"
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III LES PORCELETS

            Cette  histoire,  contrairement  aux  précédentes,  n'a  laissé  aucune  trace  écrite.  Nos  aînés  la  racontaient
            encore au cours des années trente et, en la retraçant aujourd'hui, j'aimerais la sauver de l'oubli.

            C'était au temps des guerres de religion, entre 1569 et 1589. Marsanne la Catholique fut, à plusieurs
            reprises,  durement  assaillie  et  assiégée  par  les  Protestants,  sans  jamais  capituler.  Il  suffit  de  lire  les
            comptes-rendus des évêques après leurs visites pastorales de 1603 et 1613 (11), pour avoir une idée des
            décombres et de la misère dans lesquels se trouvait notre village à la fin des conflits.

            C'était une grande tristesse, mais les Marsannais restaient fiers de leur résistance. Isolés à l'intérieur de
            leurs remparts, ils avaient tenu tête, à force de volonté, de courage et d'abnégation. Ils avaient dû résister
            aux attaques, colmater les brèches, soigner les blessés et assurer la survie de la population.
            Plus le siège durait, plus l'isolement était grand, et plus les réserves se faisaient rares. La faim menaçait
            alors les bêtes et les gens.
            C'est au cours d'un de ces sièges particulièrement long et épuisant que se situe notre histoire.

            L'ennemi, depuis longtemps, s'était installé autour de nos murailles. Bien ravitaillé par ses arrières, il
            espérait une victoire facile et attaquait hardiment. Pourtant, tous ses assauts furent repoussés et il dû
            changer de tactique. Il pensa, qu'en présence de forces égales, seule l'usure du temps qui entraînerait la
            famine, aurait raison des assiégés. Il s'organisa alors en position de longue durée.
            Les  malheureux,  derrière  leurs  murs,  comprirent  la  nouvelle  tactique.  Ils  savaient  que  leurs  maigres
            réserves ne leur permettraient pas de résister longtemps. Alors, ils eurent recours à la ruse.

            Voici  qu'une  pauvre  truie  efflanquée  venait  de  mettre  bas  ses  petits.  Ils  décidèrent  d'engraisser
            superbement toute la portée, mais cela ne pouvait se faire qu'au sacrifice de chacun, sur sa faible part de
            nourriture. Le consentement fut unanime et l'on vit grossir parmi les gens affamés, les petits cochons
            rebondis.
            Un jour vint où leur taille fut jugée suffisamment "éloquente". Alors, on les lâcha hors des murs, et ce
            qu'on avait souhaité arriva.

            Les protestants, stupéfaits de voir s'égayer  un bétail aussi dodu, pensèrent que leurs ennemis, loin de
            mourir de faim, devaient avoir d'inépuisables réserves. Dépités, fatigués, ils quittèrent la place.

            Nos aïeux furent sauvés, mais l'histoire ne dit pas ce qu'il advint des porcelets !!

                                                                                                                                Marsanne, juillet 1993
                                                                                                                                      M.L. Raymond

            (11) AM, GG 11
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