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III LES PORCELETS
Cette histoire, contrairement aux précédentes, n'a laissé aucune trace écrite. Nos aînés la racontaient
encore au cours des années trente et, en la retraçant aujourd'hui, j'aimerais la sauver de l'oubli.
C'était au temps des guerres de religion, entre 1569 et 1589. Marsanne la Catholique fut, à plusieurs
reprises, durement assaillie et assiégée par les Protestants, sans jamais capituler. Il suffit de lire les
comptes-rendus des évêques après leurs visites pastorales de 1603 et 1613 (11), pour avoir une idée des
décombres et de la misère dans lesquels se trouvait notre village à la fin des conflits.
C'était une grande tristesse, mais les Marsannais restaient fiers de leur résistance. Isolés à l'intérieur de
leurs remparts, ils avaient tenu tête, à force de volonté, de courage et d'abnégation. Ils avaient dû résister
aux attaques, colmater les brèches, soigner les blessés et assurer la survie de la population.
Plus le siège durait, plus l'isolement était grand, et plus les réserves se faisaient rares. La faim menaçait
alors les bêtes et les gens.
C'est au cours d'un de ces sièges particulièrement long et épuisant que se situe notre histoire.
L'ennemi, depuis longtemps, s'était installé autour de nos murailles. Bien ravitaillé par ses arrières, il
espérait une victoire facile et attaquait hardiment. Pourtant, tous ses assauts furent repoussés et il dû
changer de tactique. Il pensa, qu'en présence de forces égales, seule l'usure du temps qui entraînerait la
famine, aurait raison des assiégés. Il s'organisa alors en position de longue durée.
Les malheureux, derrière leurs murs, comprirent la nouvelle tactique. Ils savaient que leurs maigres
réserves ne leur permettraient pas de résister longtemps. Alors, ils eurent recours à la ruse.
Voici qu'une pauvre truie efflanquée venait de mettre bas ses petits. Ils décidèrent d'engraisser
superbement toute la portée, mais cela ne pouvait se faire qu'au sacrifice de chacun, sur sa faible part de
nourriture. Le consentement fut unanime et l'on vit grossir parmi les gens affamés, les petits cochons
rebondis.
Un jour vint où leur taille fut jugée suffisamment "éloquente". Alors, on les lâcha hors des murs, et ce
qu'on avait souhaité arriva.
Les protestants, stupéfaits de voir s'égayer un bétail aussi dodu, pensèrent que leurs ennemis, loin de
mourir de faim, devaient avoir d'inépuisables réserves. Dépités, fatigués, ils quittèrent la place.
Nos aïeux furent sauvés, mais l'histoire ne dit pas ce qu'il advint des porcelets !!
Marsanne, juillet 1993
M.L. Raymond
(11) AM, GG 11