Page 6 - Tous les bulletins de l'association des" Amis du Vieux Marsanne"
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C'était hier...
La veille de Noël, mon père venait nous attendre au train, en gare de 'Lachamp-
Condillac', (aujourd'hui La Coucourde). De là, la carriole nous emportait, sous un clair de lune
magnifique, par un froid assez vif, jusqu'à la ferme familiale. Dans la cheminée de pierre, un
grand feu nous accueillait, caressant de ses lueurs, la vaisselle dressée sur la table de fête. Une
boisson chaude, des élans d'affection et de joie, et nous étions 'sur pieds' pour 'monter' en
famille à la messe de minuit.
Au retour, se déroulait alors une cérémonie traditionnelle. Nous nous rangions devant la
cheminée où brûlait l'énorme bûche choisie et conservée pour cette nuit-là. L'aïeul prenait un
verre de vin nouveau, en arrosait la bûche en prononçant solennellement ces paroles :
"Alègre ! Alègre ! Dièu nous alègre !
Calendo vèu, tout ben vèu : Dièu nous faguè
la grâci de vèire l'an qué vnèn. Et, sé noun
sian pas maï, quén nous fuguén pas mén"
Joie ! Joie ! Dieu nous donne la joie !
Noël vient, tout vient bien. Dieu nous fasse la
grâce de voir l'an qui vient. Et si nous ne
sommes pas plus, que nous ne soyons pas moins.
Alors, on se mettait à table. Le menu, aujourd'hui, peut paraître un peu simple. C'était celui de
la tradition ; on le trouvait, à peu près, sur toutes les tables de la campagne en cette veille de
Noël.
- Soupe de "crouzets" (pâtes maison coupées en morceaux irréguliers), remplacée
parfois par un bon pot-au-feu, mijoté dans un pot de terre, exposé longuement aux
braises de la cheminée.
- Fricassée de boudins, cuits dans la poêle à long manche de fer posée sur le brasier.
Suivaient alors, le plat de cardons et la morue traditionnelle. Enfin, comme il se doit,
la dinde truffée et, en général, la salade de céleri. Le pain avait été cuit la veille, dans le four,
à l'angle de la cheminée. Comme tout cela était bon ! Le dessert arrivait à son tour. Une crème
qu'on mangeait avec la pogne familiale. Puis, les fruits : pommes, poires, noix, amandes, kaki,
figues et raisins séchés, dattes et quelques oranges (parfois aussi des pâtes de coings, des
bugnes ou oreillettes). Enfin, le nougat, l'inévitable barre de nougat : du blanc, du noir ...,
selon les goûts ou...la jeunesse des dents !
On parlait, on chantait ; en patois, en français, car on était bilingue ! Le jour arrivait
trop vite, au milieu de tant de joies éclatantes et simples.
Les bassinoires de braises allaient réchauffer les lits et, chacun rejoignant le sien, disait aux
autres : "Alègre ! Alègre ! Joyeux Noël !
Nous étions à Marsanne le 24 décembre 1890. Que de choses ont changé depuis cette
année-là ! Que le temps a passé ! Et pourtant, remarquez : deux chiffres simplement ont
échangé leurs places ! C'est de nouveau Noël : la dinde ..., le cardon..., le feu..., la
cheminée...!
Et moi, comme autrefois, je vous crie à mon tour : Alègre ! Alègre !...Très heureux Noël à
tous ! et Bonne Année
Marsanne 1890...1980 !
M. R. (Marie-Louise Raymond)